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une idée appréciable s’était dégagée de ces figures, dont le seul charme est de ne pas être terminées.

Ce malheur est irréparable, car M. Besnard s’est lui-même enlevé le droit de faire accepter ces figures sommairement dessinées pour un idéal particulier et pour un parti-pris exceptionnel d’art décoratif. Il expose en effet au Salon un portrait de jeune femme que tout l’invitait à terminer et qu’il a laissé à l’état d’ébauche. L’ébauche est d’ailleurs assez à la mode et M. Besnard suit un courant. Il est un de ceux qui, de près ou de loin, se rattachent ou plutôt croient se rattacher à la manière de M. Puvis de Chavannes ; M. Humbert s’y rattache aussi et ce n’est pas un des moindres malheurs du grand maître que d’avoir fourvoyé tant d’honnêtes gens. M. Puvis de Chavannes, en effet, n’appartient ni à l’école néo-classique, ni à l’école historique. Il a fondé une école à part qui ne ressemble point à celles que nous avons passées en revue. Son grand malheur a été d’avoir trop de disciples. Nous aurions rêvé pour lui une petite école où il eût été seul, professeur et élève à la fois.

Quand on regarde les œuvres de M. Puvis de Chavannes, on regrette amèrement ou qu’il ne veuille pas ou qu’il ne sache pas serrer son dessin. Il néglige les extrémités comme si elles étaient superflues, les visages aussi parfois ; il aime le vague et l’indécis ; la précision ne compte pas dans son esthétique. Bon gré mal gré, il faut que l’imagination du spectateur complète le tableau et en révise tous les détails. Aussi le maître est-il incompréhensible pour la masse. Son talent se réfugie dans l’abstraction. Les personnages qu’il met au jour et qui n’ont guère plus de consistance que les ombres saluées par Ulysse aux enfers, possèdent tout juste la réalité de bonnes intentions. Leur grandeur échappe au vulgaire et ceux-là seulement qui ont la compréhension du grand art peuvent pénétrer leurs secrets.

Malgré tout cela, M. Puvis de Chavannes reste et restera un artiste de premier ordre, auquel sa personnalité, sa façon particulière d’interpréter la nature, assigneront toujours une place spéciale et très haute parmi les artistes contemporains. S’il n’a pas toujours le dessin correct, il a plus qu’aucun autre le sentiment du dessin, la science de la composition et de l’harmonie, la naïveté du rendu, la grâce naturelle et simple. Les maîtres d’autrefois ne se seraient point contentés de ses ébauches, il est vrai, mais ils auraient admiré comme nous la grandeur qu’il donne à ses figures, la vérité de leurs gestes, l’ampleur de ses conceptions. Ils lui auraient serré la main comme à un de leurs parens, du troisième ou du quatrième degré. C’est que, sans arriver à leur perfection, il a compris l’art comme les maîtres le comprenaient autrefois. Il n’a cherché ni les