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on avait essayé d’accabler Delacroix vivant. La solidarité secrète qui relie entre elles toutes les manifestations de l’art a fait depuis un certain nombre d’années réfléchir ceux qui avaient sifflé Victor Hugo, hué Gautier, méprisé Sainte-Beuve, refusé le talent à Balzac.

Mais revenons à la peinture d’histoire. Certains peintres ont cherché à agrandir son vaste domaine et à faire, à l’exemple de Glaize, de la peinture philosophique. Ç’a été l’ambition sans doute de M. Fritel, qui laisse échapper en foule du sol de la patrie les ombres de ses défenseurs, nos ancêtres. Montée sur des chevaux géans, leur troupe traverse formidablement la toile au-dessus d’un paysage marron, animé seulement par la présence d’une charrue. Ce tableau est triste : l’idée du peintre, qui veut, au souvenir des héros passés, éveiller dans le cœur des générations futures des sentimens héroïques, ne se dégage pas suffisamment. Cependant, telle est la force d’une idée, qu’il est impossible de passer devant l’œuvre de M. Fritel sans en être impressionné. C’est de la littérature, non de la peinture, que relevait l’expression de la pensée caressée par l’auteur ; mais on se sent disposé à oublier les imperfections du dessinateur, les erreurs du peintre, l’uniformité de cette cavalcade de soldats, la sécheresse cherchée peut-être, mais obtenue à coup sûr, de ce tableau trop grand, pour applaudir, somme toute, à la vaillance de l’effort et à la nouveauté de la conception.

Il ne faut pas confondre la peinture d’histoire avec la peinture officielle, et en réalité il faudrait trouver un mot nouveau pour parler de toutes ces peintures destinées à décorer les salles de nos mairies, et, qu’en raison de cette destination sans doute, leurs auteurs appellent un peu prétentieusement des peintures décoratives. Le Salon de cette année en contient un grand nombre qui ne nous ont pas satisfait, sans doute parce qu’elles n’étaient pas à leur place. Ces panneaux, destinés à des pans coupés, ne sont pas des tableaux, et rien n’est plus laid à voir, au milieu de l’ordonnance générale des toiles carrées, que ces fausses portes de sortie ménagées dans l’œuvre de l’artiste : désolantes, si elles sont seulement indiquées dans leur rigide nudité ; désastreuses et tuant tout autour d’elles, si l’artiste s’est avisé de les rendre, rehaussées de blanc et d’or, comme il convient pour des portes officielles. Si un règlement futur ne met bon ordre à cette invasion, les salles du palais de l’Industrie ne seront plus assez grandes pour qu’on y puisse admirer dans la simplicité de leurs formes toutes les portes des mairies de France.

Nous aurions voulu chez les auteurs de ces ouvrages un peu plus