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Tout ce qui l’approchoit vouloit me l’enlever,
Tout ce qui lui parloit cherchoit à m’en priver ;
Je tremblois qu’à leurs yeux elle ne fût trop belle ;
Je les haïssois tous comme plus dignes d’elle,
Et ne pouvois souffrir qu’on s’enrichit d’un bien
Que j’enviois à tous sans y prétendre rien.


Ces beaux vers durent charmer Armande et faire sourire Molière. Il serait imprudent de juger les comédiennes d’après les hommages poétiques qui leur sont consacrés ; mais on sait gré à Armande d’avoir inspiré celui-là et, au sortir de la Fameuse Comédienne, on est quelque peu dédommagé en retrouvant, grâce à Corneille, quelque chose d’elle dans l’idylle héroïque de Psyché, dans une noble scène de Pulchérie.

La réconciliation de Molière et de sa femme était peut-être chose faite lors de Psyché ; en tout cas, elle n’eut pas lieu plus tard que la fin de 1671, entre les Fourberies de Scapin et la Comtesse d’Escarbagnas. Des amis communs, entre autres Chapelle et le marquis de Jonzac, s’y étaient employés avec dévoûment. Vers le milieu de l’année suivante, les deux époux allèrent habiter rue de Richelieu. En s’éloignant de cette maison de la place du Palais-Royal, où il avait longtemps vécu, avec les Béjart et Mlle de Brie, Molière voulait sans doute mettre son foyer à l’abri des causes de discorde qui l’avaient troublé. Il semble que peu de temps après son mariage, il avait déjà pris semblable mesure et s’était installé dans cette même rue de Richelieu, bien inspiré en cela ; mais, on ne sait pour quelle cause, il serait revenu bientôt habiter avec les Béjart. Cette fois, au contraire, il prit toutes les mesures qui annoncent une installation définitive. La demeure commode et vaste qu’il avait choisie, il s’efforça de la rendre agréable à Armande : il y déploya un grand luxe, il y porta des recherches et des attentions d’amoureux, combinant le choix de l’ameublement, la disposition des tentures, l’harmonie des couleurs, la distribution des pièces pour la commodité et l’agrément de sa femme. Quelle différence avec le pauvre et froid petit logis où nous avons vu mourir Madeleine Béjart ! Il semble qu’une seconde lune de miel suivit cette réconciliation, et que le pauvre grand homme connut, du moins, avant de mourir, quatre mois de bonheur intime et de tranquillité. Le 15 septembre 1672, il devenait père pour la troisième fois ; il lui naissait un fils. Courte joie : l’enfant ne vivait que onze jours, précédant son père dans la tombe de quatre mois et demi. Cette réconciliation, en effet, si heureuse en elle-même, devait être funeste à Molière et l’on peut y voir une des causes de sa mort prématurée. Atteint depuis longtemps d’une grave maladie de poitrine, il avait dû se