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on entrevoit la splendeur de ses costumes dans la sèche description du notaire qui inventoria « les habits pour la représentation de Psyché : en tout cinq costumes, un par acte. »

Il n’est pas sûr qu’elle ait été l’Hyacinthe assez insignifiante des Fourberies de Scapin ; dans la Comtesse d’Escarbagnas, elle ne parut certainement pas : au contraire de sa sœur Madeleine, qui, dans toute sa carrière, jouait tous les rôles, les plus modestes comme les plus importuns, elle agissait en étoile, dédaignant ceux où elle n’aurait fait que rendre service au théâtre, sans profit pour son amour-propre. En dehors des grandes créations, elle se réservait pour les seuls petits emplois capables de la flatter, comme dans ce divertissement, que nous n’avons plus, de la Pastorale comique, où elle représentait à la fois « une bergère en femme » et « une bergère en homme, » ne dédaignant pas l’attrait piquant du travesti. On la vit ensuite dans l’Henriette des Femmes savantes, ce type délicieux de la jeune fille française, dont la grâce facile, le bon sens, aiguisé d’ironie mais tempéré de bonté, montrent, en quelque sorte, l’Elmire du Tartufe avant le mariage. Angélique du Malade imaginaire fut le dernier rôle qu’elle dut au génie de son mari. Plus ingénue qu’Henriette, mais point trop naïve, Angélique est d’un ordre à part ; elle tempère par un sourire mouillé de larmes l’exubérante gaieté de la pièce et mêle la plainte mélancolique d’une Iphigénie bourgeoise aux terreurs burlesques d’Argan, aux complimens niais de Thomas Diafoirus, aux éclats de colère de M. Purgon. La voix touchante d’Armande était bien celle qu’il fallait au rôle, et c’est surtout le souvenir du Malade imaginaire qui inspirait à l’auteur des Entretiens galants son double portrait de La Grange et de Mlle Molière.


IV

Telle fut la comédienne dans Armande Béjart : très digne d’attention, comme on le voit. Mais, si remarquables qu’aient été ses talens dramatiques, ils comptent pour la moindre part dans la curiosité que son nom excite. Ce que l’on veut surtout connaître, c’est la conduite privée de la femme, la place qu’elle tint dans l’existence de son mari. On a déjà beaucoup écrit sur elle, et presque toujours en se plaçant à ce point de vue exclusif. Pour la grande majorité des biographes de Molière, Armande fut une épouse indigne ; elle tortura, elle couvrit de ridicule le grand homme dont elle portait le nom. Une fois lancé dans cette voie, on