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mieux que le rôle passif de Mariane ; cependant, c’est bien celui-ci que lui attribue une distribution datée de 1685. L’incertitude continue avec M. de Pourceaugnac, quoique le rôle de Lucette, la « feinte Gasconne, » y semble fait pour elle : si elle fut vraiment élevée en Languedoc, elle put retrouver dans les souvenirs de sa jeunesse l’accent nécessaire au patois qui étourdit le gentilhomme limousin. Les renseignemens positifs manquent aussi sur le personnage qu’elle fit dans les Amans magnifiques ; on voudrait pouvoir lui attribuer en toute certitude celui d’Ériphyle, la princesse aimée par un homme d’une condition inférieure à la sienne et qui lutte entre l’amour qu’elle-même ressent et le sentiment de sa dignité : sorte de Grande Mademoiselle, tendre et fière, engageante et réservée, chez laquelle on a vu, non sans raison, le premier modèle de quelques héroïnes de Marivaux. Mais nous savons par Molière lui-même ce qu’elle fut dans la capricieuse Lucile du Bourgeois gentilhomme ; on a vu quel ravissant portrait elle lui inspirait alors. À ce moment, la concorde régnait entre les deux époux et le poète n’avait pour sa femme qu’ingénieuses prévenances et délicates flatteries.

Aussi lui ménage-t-il dans Psyché un triomphe égal à celui qu’elle avait obtenu dans le Misanthrope, mais dans un rôle tout sympathique cette fois et tout aimable. Il y a, certes, des œuvres plus fortes que cette « tragédie-ballet ; » il n’y en a guère qui soient une plus fidèle image de la société qui les inspira. Molière y avait mis le comique tempéré de ses travestissemens mythologiques, Corneille sa galanterie héroïque, Quinault la molle harmonie de ses vers, Lulli sa musique spirituelle et passionnée, Vigarani la fastueuse ordonnance de ses décorations : l’ensemble se trouva réaliser l’idéal dramatique des contemporains de Louis XIV. Au milieu d’une pompe royale, c’est l’apothéose de leur manière d’entendre l’amour ; tous les sentimens y sont grandioses et nobles, presque naturels avec cela. Quant à l’héroïne, bien éloignée assurément de son modèle antique, charmante encore cependant, avec sa pudeur fière, sa tendresse réglée par le sentiment de « sa gloire » et de son rang, elle est entourée d’une véritable idolâtrie. Armande dut éprouver dans ce rôle d’enivrantes joies d’amour-propre ; princesse, amante adorée, déesse, elle s’offrait aux applaudissemens avec toutes les séductions que l’art et la poésie peuvent réunir autour d’une comédienne. Il n’y a, malheureusement, que Robinet pour nous dire l’impression qu’elle produisait, et, cependant, quelque chose de cette impression nous arrive à travers la burlesque poésie du pauvre rimeur : il compare ses attraits au javelot infaillible de Céphale, « elle est merveilleuse, elle joue divinement, elle fait courir les gens à tas. » Enfin,