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beauté toute dans le regard, le sourire et les manières, cette beauté, où la nature a la moindre part et la volonté de plaire la plus grande était, par excellence, une beauté coquette. N’est-ce pas le genre d’attraits que l’on voit à la Célimène idéale, celle qui n’est point telle ou telle actrice, mais le type créé par le poète ? Armande avait aussi de la coquette l’humeur impérieuse et vaine ; elle « vouloit, dit la Fameuse Comédienne, être applaudie en tout, n’être contredite en rien, et surtout elle prétendoit qu’un amant fût soumis comme un esclave. » On se rappelle de quel air et de quel ton, au second acte du Misanthrope notamment, Célimène réprime les révoltes d’Alceste. Cette foule d’amans qui l’entoure, et dont le poète ne met en scène que le nombre nécessaire à l’action, se retrouvait certainement autour d’Armande. Quelle que pût être la conduite de celle-ci, — grosse question qu’il faudra bien aborder, — les adorateurs affluaient autour d’elle, attirés par une profession qui la mettait si en vue.

A la grande comédie du Misanthrope (4 juin 1666) succède, deux mois après, la simple farce du Médecin malgré lui. Armande y fait Lucinde, petit rôle d’ingénue sans grande importance, car le personnage n’ouvre pas la bouche durant la plus grande partie de la pièce ; il n’y a guère pour elle que des jeux de scène et une situation très plaisante vers la fin, lorsque la fausse muette s’épanche tout à coup en un bavardage torrentiel. Elle se dédommage par un luxe assez déplacé chez une jeune fille de moyenne condition : son habit se composait d’une « jupe de satin couleur de feu, avec trois guipures et trois volans et le corps de toile d’argent et soie verte. » Elle n’eut qu’une part secondaire dans les représentations de Mélicerte, du Sicilien et d’Amphitryon : on ne sait même pas si elle joua dans la première et la dernière de ces pièces ; dans la seconde elle tenait le rôle de Zaïde, personnage de simple figuration, et elle dut s’y contenter d’un succès de costume, sous une « riche mante, » présent du roi. Pourquoi cette série de méchans lots dans trois pièces successives ? Il sera peut-être possible de les expliquer par le très mauvais ménage qu’elle faisait à ce moment avec son mari. En revanche, dans le rôle d’Angélique, elle est au premier plan de George Dandin. Sans pousser plus loin qu’il ne convient la ressemblance du personnage et de l’actrice, il est probable que celle-ci n’eut pas trop à violenter sa nature pour entrer dans l’esprit du rôle, et qu’Angélique, avec son humeur impérieuse et son ironie froide, ne pouvait être mieux représentée que par Armande. On la verrait volontiers dans Élise de l’Avare, d’abord parce qu’elle y aurait eu son partenaire habituel, La Grange, et aussi parce que le caractère de cette fille exaspérée lui conviendrait