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III

Mais elle excelle surtout dans les ingénues et les grandes coquettes du théâtre de son mari. Mlle Poisson et Grandval s’accordent encore à dire qu’il « faisoit ces rôles pour elle » et « travailloit exprès pour ses talens. » Elle parut pour la première fois dans la Critique de l’École des femmes, représentée le 1er juin 1663, c’est-à-dire un an et quatre mois après son mariage : Molière n’avait voulu la laisser débuter qu’après le temps d’études nécessaire, et sûr pour elle du succès. Comment n’eût-elle pas réussi avec l’aimable petit rôle qu’il lui confiait : celui d’Elise ? Il en est peu d’aussi propres à faire valoir une actrice. Élise est une jeune femme sensée, spirituelle et maniant l’ironie avec un sérieux qui en double la force. Sa verve mordante s’exerce aux dépens de tous les ridicules qui défilent devant elle et va jusqu’à la mystification, d’abord avec la précieuse Climène ; puis avec le marquis et le poète Lysidas, celui-ci pédant et pesant, celui-là fat, évaporé, turlupin. Ce premier rôle a si bien fait valoir Armande qu’elle en reçoit un autre du même genre dans l’Impromptu de Versailles, représenté le 14 octobre suivant : « Mlle Molière, satirique spirituelle, » ainsi l’appelle la distribution. Outre une petite escarmouche avec Molière, en qui elle raille plaisamment le directeur et le mari, elle a toute une scène à part, et des plus brillantes, avec Mlle du Parc, l’autre étoile de la troupe ; elle reprend le malheureux Lysidas, ramené sous son feu. De petites tirades, pas trop longues, sont ménagées pour elle, et Molière, en distribuant ses conseils, lui a fait le même compliment qu’à La Grange et à Mlle du Parc, les deux parfaits comédiens : « Pour vous, je n’ai rien à vous dire. » L’actrice que sera Mlle Molière se laisse déjà voir avec ses traits essentiels dans ces deux rôles de début ; la femme y est aussi, ce me semble, avec son caractère : bon sens net, mais un peu étroit ; humeur railleuse, par suite un peu méchante ; assez d’esprit ; peu de bonté.

Elle ne joue pas dans le Mariage forcé, qui est du 29 janvier 1664, car le 19 elle a donné un fils à Molière. Il y a cependant pour elle un joli rôle de figuration, dont elle prendra possession après ses relevailles, car on trouve, dans l’inventaire dressé à la mort de Molière, parmi les costumes de sa femme, « un habit d’Égyptienne du Mariage forcé, en satin de plusieurs couleurs. » La Princesse d’Élide, représentée au mois de mai suivant, est une pièce