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hommes ou de jeunes filles, et on ne se doute pas que, tout le chemin qu’ils ont fait vers la jeunesse, on l’a fait soi-même vers la vieillesse. Molière s’avisa donc un jour qu’Armande Béjart, sœur de sa camarade et amie Madeleine, pouvait devenir sa femme. Elle avait sans doute pour lui cette affection que les enfans rendent aisément à ceux dont ils se sentent aimés ; ce sentiment n’aurait pas de peine à se changer en amour conjugal. Quant à la jeune fille, elle ne pouvait qu’être flattée de se voir rechercher par le chef de cette troupe à laquelle appartenaient tous les siens et où elle-même devait entrer.


I

Il paraît peu probable que la première enfance d’Armande Béjart se soit passée sur les grandes routes. Ce que l’on sait de sa culture d’esprit et de ses talens donne à croire qu’elle reçut une autre éducation que celle d’une petite bohémienne. D’après l’auteur de la Fameuse Comédienne, Armande aurait « passé sa plus tendre jeunesse dans le Languedoc, chez une dame d’un rang distingué dans la province. » Rien n’empêche de tenir le renseignement pour exact. Un biographe de Molière, Petitot, a déterminé de son chef, sans donner, du reste, aucune preuve, dans quelle ville on la laissa ; il veut que ce soit Nîmes, sans doute parce que l’on y a trouvé un des portraits auxquels on applique son nom. Toujours d’après la Fameuse Comédienne, lorsque la troupe, relativement plus stable, eut pris Lyon pour quartier général, en 1653, Armande, alors âgée d’une dizaine d’années, fut retirée de chez la « dame d’un rang distingué », et, depuis, elle ne quitta plus sa famille. A Lyon, la troupe joua l’Andromède de Corneille. Un exemplaire de cette tragédie, qui faisait partie de la bibliothèque Soleinne, donne, en face des personnages, une liste manuscrite d’acteurs ; ces noms sont ceux des camarades de Molière, on prétend même y reconnaître l’écriture de celui-ci. Parmi ces noms se trouve celui d’une Mlle Menou, qui faisait la néréide Éphyre, rôle de figuration à peu près muet, car il ne compte pas plus de quatre vers, et, dans cette Mlle Menou, on veut voir la petite Armande Béjart, sous prétexte que c’est là un diminutif de son prénom d’usage. Mais d’abord, Menou supposerait plutôt Germaine qu’Armande. De plus, Éphyre, comme les deux autres néréides de la pièce, ne peut être jouée que par une jeune fille ou une jeune femme, car la seule raison d’être du personnage est de servir à un effet plastique. Enfin, Armande semble n’être montée sur le théâtre qu’après son mariage ; elle ne fait point partie de la troupe de Molière telle