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naguère si fraternelle de nos cadres creuse une division. Elle deviendra plus profonde et va s’étendre à tous les grades que les officiers de l’une et de l’autre origine brigueront. Si les officiers de Saint-Cyr sont préférés, leurs concurrens se croiront victimes d’une injustice. Si le partage des grades est égal entre tous, le recrutement de Saint-Cyr deviendra impossible. Il est déjà compromis par cela seul que le service de trois ans existe. Comme tout soldat pourvu de quelqu’instruction aura la certitude d’atteindre en quatre ans le grade d’officier, comme l’enseignement dans l’armée est gratuit, les jeunes gens que les épreuves classiques rebutent ou éliminent, ceux qui sont las de la discipline paternelle ou pauvres et qui se croient la vocation militaire, au lieu de se présenter à Saint-Cyr, laisseront là leurs humanités et iront droit au régiment. Il n’y aura pour eux, à suivre cette voie, qu’un retard minime et compensé par la facilité du succès. Ils pourront même, par l’armée, arriver plus vite, il leur suffira de s’engager à dix-huit ans. Saint-Cyr ne gardera que les jeunes hommes, braves devant le travail, soucieux avant tout de compléter leurs études et de donner à leur vie entière la solidité de bonnes fondations. Mais ils comptent obtenir dans leur carrière des avantages proportionnés aux efforts qu’ils ont faits et à la supériorité qu’ils acquièrent. Si cette récompense leur est enlevée, la plupart se refuseront à des épreuves stériles pour leur avenir. Saint-Cyr formera de moins en moins d’élèves et bientôt si peu qu’il le faudra fermer. L’unité d’origine sera faite, mais combien le corps d’officiers où l’on pourra entrer sans connaissances générales, faire son chemin sans épreuves difficiles et dont la médiocrité écartera les intelligences d’élite, aura-t-il perdu de sa valeur !

Telle sera l’armée sous les drapeaux. Mais cette armée ne comprend que les cadres et les hommes non exercés : elle est l’école et non la force du pays. Pour devenir apte à combattre, elle doit se grossir des soldats exercés. Elle compte neuf classes : les troupes sous les drapeaux formant trois classes, les réserves en forment six. Les troupes âgées de vingt à vingt-trois ans se dégagent encore de l’adolescence et elles ont en moyenne un an et demi de service. Les soldats des réserves ont un effectif double, ont servi trois ans, sont âgés de vingt-quatre à vingt-neuf ans. Que l’on compare le nombre, l’instruction militaire, la vigueur physique, la force de cette armée est dans les réserves.

Cette force apparente fait sa faiblesse. L’homme, dès qu’il a quitté les drapeaux, se tient pour libéré envers sa patrie et croit avoir gagné le droit de vivre pour soi-même. Il fonde une famille, prend un état, se mêle à des intérêts qui bientôt affaiblissent en lui la vertu militaire, si elle était forte, et, si elle était faible, la