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Tel est le résultat dernier de la gestion des intérêts militaires par des hommes politiques. L’armée organisée par leurs soins cesse d’être une force militaire contre les ennemis du dehors : elle devient une arme politique contre les adversaires du dedans.


II

Quels soldats prépare le service de trois ans ? Comme la loi qui le proclame consacre un état déjà existant en fait, pour connaître l’armée de demain il suffit d’étudier l’armée d’aujourd’hui.

Rien n’y rappelle l’armée d’autrefois. Le soldat qui trouvait dans sa rude existence la douceur d’une habitude, croyait à la dignité de sa profession, mettait son honneur à la bien accomplir et couronnait ses vertus militaires par quelque dédain des vertus civiles, n’existe plus. L’obéissance est partout, nulle part le goût d’obéir. Durant le service le sentiment qui domine n’est pas la fierté de l’accomplir, mais l’impatience de l’achever. L’homme est toujours trop près de la liberté qu’il vient de perdre ou de celle qu’il va retrouver pour considérer sa condition présente comme durable. Son corps seul est captif ; sa pensée erre autour du foyer natal, des champs paternels, des travaux accoutumés, que la servitude militaire interrompt sans affaiblir leur charme toujours présent.

L’existence qu’il mène rend le contraste plus amer. Plus le temps de service se réduit, plus l’instruction demande d’efforts. Dans les armes spéciales le travail est extrême. L’homme demeure accablé par l’excès de ce qu’il doit apprendre, sent s’échapper sans cesse les connaissances qu’il tente d’introduire trop vite dans un cerveau trop étroit, ne parvient jamais à cette possession assurée de savoir qui est le commencement du repos. Le service de trois ans le rebute par ses fatigues. Dans les autres armes, où l’homme a plus vite achevé d’apprendre, il se demande, dès qu’il connaît ses théories, pourquoi il est retenu à l’armée. Il sait que le service n’est pas un métier, mais une école ; pourquoi l’école n’est-elle pas close quand la leçon est finie ? Le service de trois ans l’étonné par son illogisme. Ces dispositions entretiennent dans les esprits une secrète résistance ; pour la briser, il faut fortifier la discipline. L’homme sent peser sur lui la menace, vit dans la crainte d’être coupable sans même connaître sa faute, ne trouve pas de proportion entre le mal qu’il fait et celui qu’on lui fait, et le moyen employé pour le soumettre achève de le dégoûter.

Le jour où le contingent tout entier sera retenu trois années, on compte que la similitude des conditions apaisera les regrets et que la présence d’hommes instruits éveillera le zèle de tous. Il est plus