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balancer un jour et sans cesse inquiéter la fortune allemande ; avec tous, le passé héroïque de la France adressait à l’avenir dans une suprême leçon une prière suprême. Au-dessus d’eux enfin, témoin par ses travaux et son âge de nos grandeurs guerrières, condamné par nos désastres à manier la force dont il avait étudié les secrets et raconté l’histoire, chargé de reprendre avec des troupes hier captives la capitale en révolte, grandi par l’autorité de services militaires autant que civils, chef de l’état, dictateur de l’opinion, plus soldat que tous, M. Thiers osait regretter l’armée de Reischoffen et de Metz. Il réclamait pour elle dans sa patrie la justice qu’elle avait trouvée chez l’adversaire, demandait pour sauvegarder l’avenir des gouvernemens plus sages et non des soldats meilleurs, acceptait le nombre comme une concession nécessaire à l’erreur générale, mais plutôt que de souscrire par la réduction du service à l’affaiblissement de la France, était prêt à quitter le pouvoir.

L’assemblée nationale ne fut pas convaincue peut-être, mais elle ne se reconnut pas le droit d’accomplir une réforme militaire malgré les généraux et, pour l’accomplir, de renverser le gouvernement. Née entre la guerre étrangère et la guerre civile, rappelée par toutes les douleurs de sa carrière au deuil de la patrie, elle savait plus aisément qu’une autre faire au bien public le sacrifice de ses préférences. L’important n’était pas que l’armée lui semblât forte, mais qu’elle fût telle, et pour la créer elle s’en fiait aux hommes de guerre. Leur influence dicta le compromis de 1872. Le contingent fut partagé en deux moitiés, l’une astreinte au service pour un an, l’autre pour cinq. L’ancienne armée survivait avec les mêmes effectifs et le même temps de service. La loi nouvelle y ajoutait des réserves inépuisables par le nombre et assez instruites pour se mêler sans les trop affaiblir aux véritables soldats. Le service militaire était universel mais inégal.

À cette inégalité justifiée par l’intérêt de la guerre s’en ajoutaient d’autres consenties dans l’intérêt de la paix. La paix aussi a son armée. La nature, par des infirmités, interdit à certains la vie des camps. La conservation des familles serait compromise si elles étaient privées de leurs chefs et de leurs soutiens. L’intérêt général n’a pas moins d’exigences : la paix ne saurait pas plus se passer de lumières et de morale que la guerre de discipline et de courage, et la société, comme l’armée, a besoin de préparer ses serviteurs par une éducation. Imposer la vie militaire à ceux qui se destinent aux fonctions publiques, c’est, en leur enlevant le loisir et peut-être le goût de l’étude, causer à l’état même un préjudice, et pour le mieux défendre contre un péril incertain, oublier ses besoins permanens. L’assemblée nationale n’avait garde de les méconnaître.