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petite, les lèvres minces, ombragées d’une longue moustache de hussard. Il baise la main de M. Strossmayer avec déférence, mais sans servilité, comme on baisait jadis la main des dames. Il nous adresse ensuite un compliment de bienvenue que me traduit mon collègue d’Agram. Le petit speech est très bien tourné. L’habitude qu’ont ici les paysans de débattre leurs affaires, au sein des communautés et dans les assemblées de village, leur apprend le maniement de la parole. Les starechinas sont presque tous orateurs. La maison de la zadruga est plus élevée et beaucoup plus grande que celle des familles isolées. Sur la façade vers la route, elle a huit fenêtres, mais pas de porte. Après qu’on a franchi la grille qui ferme la cour, on trouve sur la façade antérieure une galerie couverte en vérandah, sur laquelle s’ouvre la porte d’entrée. Nous sommes reçus dans une vaste pièce où se prennent les repas en commun. Le mobilier se compose d’une table, de chaises, de bancs, et d’une armoire en bois naturel. Sur les murs, toujours parfaitement blanchis, des gravures coloriées représentent des sujets de piété. A gauche, on entre dans une grande chambre presque complètement vide. C’est là que couchent, l’hiver, toutes les personnes formant la famille patriarcale, afin de profiter de la chaleur du poêle placé dans le mur séparant les deux pièces, qui sont ainsi chauffées en même temps. L’été, les couples occupent chacun une petite chambre séparée.

J’ai noté en Hongrie un autre usage plus étrange encore. En visitant une grande exploitation du comte Eugène Zichy, je remarquai un grand bâtiment où habitaient ensemble les femmes des ouvriers, des bouviers et des valets de fermes avec leurs enfans. Chaque mère de famille avait sa chambre séparée. Dans la cuisine commune, sur un vaste fourneau, chacune d’elles préparait isolément le repas des siens. Mais les maris n’étaient pas admis dans ce gynécée. Ils couchaient dans les écuries, dans les étables et dans les granges. Les enfans cependant ne manquaient pas.

Le poêle que je trouve ici dans la maison de cette zadruga est une innovation moderne, de même que ces murs et ces plafonds blanchis. Jadis, comme encore dans quelques maisons anciennes, même à Siroko-Polje, le feu se faisait au milieu de la chambre et la fumée s’échappait à travers la charpente visible, et par un bout de cheminée formée de planchettes, au-dessus de laquelle une large planche inclinée était posée sur quatre montans, afin d’empêcher la pluie et la neige de tomber dans le foyer. Toutes les parois de l’habitation se couvraient de suie ; mais les jambons étaient mieux fumés. Le nouveau poêle est, dit-on, emprunté aux Bosniaques. Il est particulier aux contrées transdanubiennes. Je l’ai rencontré jusque dans les jolis salons du consul de France à Serajewo. Il donne, dit-on, beaucoup de chaleur et la conserve longtemps. Il est rond, formé