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achever son grand Dictionnaire de la langue slave, quand la mort est venue lui apporter le repos qu’il n’avait jamais goûté. Voici un incident de sa vie peu connu. Ayant déplu à un des ministres serbes, il fut relégué dans une place subalterne au télégraphe. Il l’accepta sans se plaindre et continua ses admirables travaux. Je fis dire an prince Michel, qui avait confiance en moi, que Danitchitch ferait honneur aux premières académies du monde et qu’il était digne d’occuper les plus hautes fonctions, mais qu’il fallait surtout lui procurer des loisirs. Peu de temps après, il fut nommé membre correspondant de l’académie de Saint-Pétersbourg. Il avait appris le serbe à la comtesse Hunyady, la femme du prince Michel de Serbie. »

J’ajoute ici quelques autres détails relatifs au grand philologue jougo-slave. Ils m’ont été communiqués par M. Vavasseur, attaché au ministère des affaires étrangères à Belgrade. Au moyen âge, les Serbes parlaient le vieux slave, qui n’était guère écrit que dans les livres liturgiques. Au XVIIIe siècle, quand on commença à imprimer le serbe chez les Serbes de Hongrie, cette langue n’était autre que le slovène avec une certaine addition de mots étrangers. C’est à Danitchitch que revient surtout l’honneur d’avoir reconstitué la langue officielle de la Serbie telle qu’elle se parle, s’écrit, s’imprime et s’enseigne aujourd’hui depuis qu’elle a été officiellement adoptée par le ministre Tzernobaratz en 1868. Il en a déterminé et épuré le vocabulaire et fixé les règles grammaticales dans des livres devenus classiques : la Langue et l’Alphabet serbes (1849) ; la Syntaxe serbe (1858) ; la Formation des mots (1878), et enfin dans son grand Dictionnaire. Il a beaucoup fait aussi pour répandre la connaissance des anciennes traditions nationales. A cet effet, il a publié à Agram en Croate, de 1866 à 1875, les Proverbes et les Chants de Maero Vetranitch-Savcitch, et la Vie des rois et archevêques serbes (Belgrade et Agram, 1866). Comme Luther, il a voulu que la langue nouvellement constituée servit de véhicule au culte national, et il publia les Récits de l’Ancien et du Nouveau-Testament et les Psaumes. L’évêque de Schabatz, en les lisant pour la première fois, trouva cette traduction si supérieure à l’ancienne qu’il ne voulut plus se servir du vieux psautier. Le service rendu par Danitchitch est énorme, car il a donné à la nationalité serbe cette base indispensable : une langue littéraire. Professeur de philologie slave, tour à tour à Agram et à Belgrade, il a été le trait d’union entre la Serbie et la Croatie, car il était également populaire dans les deux pays.

Je n’ai entendu émettre au sujet de la fixation de la langue serbe que les deux regrets suivans. D’abord, il est fâcheux que l’on y ait conservé les anciens caractères orientaux au lieu de les