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décorations normandes de l’Italie méridionale ; un quatrième est en filigrane sur fond d’or plat, comme certains bijoux étrusques. La Bosnie, avant l’invasion turque, n’était pas le pays sauvage qu’elle est devenue depuis. En communication constante et facile, par la côte de la Dalmatie, avec la Grèce et Constantinople d’une part, avec l’Italie d’autre part, ses artistes se maintenaient au niveau des productions de l’art dans ces deux centres de la culture. — « Aujourd’hui encore, reprend l’évêque, il y a à Serajewo des orfèvres qui n’ont jamais appris à dessiner, mais qui font des chefs-d’œuvre. Ainsi voyez cette croix épiscopale en argent et ivoire : Agram a fourni le dessin, mais quelle perfection dans l’exécution ! Ne croyez pas que je sois collectionneur. Sans doute, j’en ai l’instinct comme un autre ; mais avec mes faibles moyens, je poursuis un grand but : rattacher le présent au passé, à ce glorieux passé de notre race, dont je vous parlais tantôt ; réveiller, entretenir, développer la part d’originalité que Dieu a départie aux Jougo-Slaves, briser la croûte épaisse d’ignorance sous laquelle notre génie national s’est trouvé étouffé pendant tant de siècles d’oppression, et faire en sorte que la domination turque ne soit plus qu’un intermède, une sorte de cauchemar que l’aurore de notre résurrection aura définitivement dissipé. »

Le lendemain matin, un gai soleil de juin me réveille de bonne heure. J’ouvre ma fenêtre. Les oiseaux chantent dans les arbres du parc et l’odeur enivrante des acacias me transporte parmi les orangers de Sorrente. Les parfums réveillent des souvenirs précis, non moins que les sons. A huit heures, le domestique m’apporte le déjeuner à la viennoise. Excellent café, crème et petits pains de farine de Pest, la meilleure du monde. Je parcours seul le palais épiscopal. C’est un très grand bâtiment à un étage, qui date, dans sa forme actuelle, du milieu du dernier siècle. Il forme les deux côtés d’une grande cour centrale carrée, dont le côté du fond est fermé par des dépendances et un vieux mur, et le quatrième par l’église. Le premier étage seul est occupé par les appartenions de maître ; le rez-de-chaussée l’est par les cuisines, buanderies, magasins, état domestique, etc., suivant la coutume des pays méridionaux. Le plan est très simple : c’est celui des cloîtres. Donnant sur la cour, se prolonge une galerie, où s’ouvrent toutes les chambres, qui se succèdent en enfilade, comme les cellules d’un couvent.

L’évêque vient me prendre pour visiter sa cathédrale, qui est une des choses où il a pris le plus de plaisir, parce qu’il y donnait satisfaction aux rêves et aux sentimens du chrétien, du patriote et de l’artiste. Il s’en est occupé pendant seize années. Cette église lui a coûté plus de 3 millions de francs. Elle est assez grande pour une population cinq à six fois plus considérable que celle du Djakovo actuel, mais son fondateur espère qu’elle durera assez pour ne pas