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police voulut lui interdire le passage par une certaine rue : un conflit s’engagea ; la police fut chargée et dispersée en laissant sur le terrain sept tués et quatre blessés. Les musulmans se rendirent alors maîtres de la caserne de la police et commencèrent à piller tout un quartier. Là encore, il fallut faire venir des troupes du dehors et livrer un combat en règle pour avoir raison de l’émeute. Ces détails montrent quels élémens inflammables la population musulmane recèle et combien il est important de la soustraire aux excitations venues du dehors. Il ne faut pas croire que les événemens qui se sont accomplis, depuis trois ans, en Égypte et dans le Soudan soient ignorés des musulmans de l’Inde et les laissent indifférens. Si les Anglais, refusant le concours de la Turquie, ont voulu occuper eux-mêmes les ports de la Mer-Rouge et ont bloqué toute la côte occidentale de cette mer, c’est afin d’être assurés qu’aucun émissaire du mahdi ne pourrait, passer en Arabie, de là gagner l’Inde, et y faire connaître les victoires remportées par le faux prophète sur les infidèles. Il leur eût été facile de traiter avec Osman-Digma, qui a gouverné autrefois Souakim, et qui se fût tenu pour satisfait si on lui en avait rendu l’administration ; mais c’eût été ouvrir les communications avec l’Asie. Le gouvernement anglais a hésité longtemps à faire venir à Souakim des troupes indiennes, et quand il s’y est décidé, il a choisi dans l’armée du Bengale un corps qui ne se recrute point parmi les musulmans. Inutiles précautions : le mahdi a en Égypte des agens avec lesquels il communique au moyen d’émissaires pour lesquels la traversée du désert de Libye n’est qu’un jeu, et la haine commune contre les infidèles lui a valu de secrètes sympathies jusqu’au sein de la haute administration égyptienne. C’est grâce à ces sympathies qu’une petite feuille, rédigée en arabe et intitulée Abou-Naddara (l’Homme aux Lunettes), a pu se publier clandestinement au Caire et se répandre parmi les classes inférieures, qui la lisaient avidement. Ce journal attaquait violemment le khédive pour s’être fait le serviteur des infidèles et pour avoir livré aux Anglais l’héritage de l’islam que le mahdi allait reconquérir sur eux avec l’aide du Tout-Puissant. Le trop grand succès de ce journal fut ce qui le perdit : il arriva à être dans toutes les mains et à attirer l’attention des fonctionnaires anglais, qui firent des perquisitions dans toutes les imprimeries et rendirent impossible d’en continuer la publication au Caire. Le rédacteur, pourchassé par la police anglaise, se réfugia en France, à la fin de 1884, et ne tarda pas à faire reparaître sa feuille satirique, qui pénètre subrepticement en Égypte et s’y vend dans toutes les grandes villes ; elle est expédiée également dans l’Inde et s’y vend régulièrement à plusieurs milliers d’exemplaires.