Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maharajahs de Vizianagram et de Durbuwgah, y reçut le vice-roi ; une armée d’enfans jetaient des fleurs sur son passage ; toutes les rues qui conduisaient au palais du gouvernement étaient ornées de guirlandes de feuillages et de tentures ; de distance en distance, des orchestres jouaient des airs indiens ; de nombreux arcs de triomphe avaient été dressés, en haut desquels on lisait des inscriptions comme celles-ci : « Nous avons besoin d’un autre Ripon. — Il emporte nos cœurs avec lui. — Honneur au fléau de nos petits tyrans ; » et la foule qui encombrait les rues saluait au passage le cortège d’une immense acclamation : Ripon ke jal ! (Succès à Ripon ! ) Les fonctionnaires s’étaient rendus au palais du gouvernement, mais la plupart des autres Anglais étaient demeurés chez eux ; quelques-uns même affectèrent de faire atteler et de se faire conduire à la promenade pendant la réception ; ils furent outrageusement sifflés et hués par la population indigène. Le soir, Calcutta fut brillamment illuminé, et le lendemain, les dignitaires indigènes offrirent au vice-roi un bal d’une splendeur féerique, auquel ils se rendirent tous dans leur équipage et leur tenue de gala : jamais on n’avait vu à Calcutta pareille réunion de grands seigneurs hindous et pareil étalage de pierreries et de bijoux ; mais la société anglaise y brillait par son absence. Après avoir remis le pouvoir à lord Dufferin, lord Ripon se rendit à Bombay afin de s’embarquer pour l’Europe. Ce fut pour lui une succession d’ovations nouvelles, et l’accueil qui lui fut fait à Bombay égala, s’il ne dépassa, en chaleur et en magnificence celui qu’il avait reçu à Calcutta.

De l’aveu unanime, aucun vice-roi, même ceux qui avaient été précédés d’une grande réputation, n’avait été, à son arrivée et, à plus forte raison, à son départ, l’objet de pareilles manifestations ; jamais surtout une opposition aussi complète, aussi flagrante ne s’était montrée entre l’attitude de la colonie anglaise et celle de la population indigène, à tous les degrés. Les esprits les plus légers en furent frappés et ne purent se défendre d’en faire la remarque ; les gens réfléchis s’en inquiétèrent comme d’un fâcheux symptôme. Quelques-uns des adversaires de lord Ripon prétendirent qu’on aurait tort d’attacher quoique importance à des manifestations qui avaient été organisées par quelques meneurs : à quoi on répondait avec raison que cette explication n’avait rien de rassurant, attendu que des meneurs indigènes, qui pouvaient ainsi mettre en mouvement toute la population de deux grandes provinces et réunir dans une action commune toutes les classes, depuis les rajahs médiatisés jusqu’aux plus modestes artisans, devaient disposer d’une organisation bien puissante et bien redoutable. Qu’il existe un commencement d’organisation au sein de la population indigène, cela n’est