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garde de l’Angleterre sur le Kushk. Elle a mis trop d’éclat dans ses missions militaires à Caboul, dans ses interprétations d’engagemens peu précis que la Russie interprétait naturellement dans son intérêt, par lesquels elle ne s’est pas laissé arrêter. Après l’affaire de Penjdeh, l’Angleterre s’est emportée, elle a écouté un peu complaisamment les rapports de ses généraux sur l’agression moscovite ; elle a cru pouvoir réclamer à Saint-Pétersbourg ce qu’elle ne pouvait obtenir le désaveu des généraux du tsar, une enquête sur la conduite des chefs militaires russes. Elle a fait trop de bruit de ses armemens précipités, dont M. Gladstone lui-même a peut-être un jour exagéré le caractère et la portée par ses déclarations retentissantes devant le parlement. Bref, par ses manifestations, par ses discussions, elle a peut-être dépassé le but, et, comme au fond, elle désirait la paix, elle a bien été obligée de s’arrêter de revenir à demi sur ses pas pour éviter un choc qui devenait de plus en plus inévitable. Elle a dû atténuer le quelques-unes de ses prétentions ; elle n’a pas précisément rappelé le chef de sa mission militaire à Caboul, sir Peters Lumsden, elle l’a autorisé à rentrer à Londres, où il est toujours attendu sous prétexte de donner des renseignemens. Elle n’a plus insisté sur le désaveu des généraux russes, sur cette enquête qui a été remplacée par un arbitrage éventuel sur le sens réel des engagemens pris entre les deux puissances. Elle est prudemment revenue à la question primitive du règlement des frontières, en la débarrassant de tout ce qui l’a compliquée depuis quelques semaines. De là cet apaisement presque subit qui s’est produit par le retour à une négociation poursuivie d’abord à Londres, puis entre Londres et Pétersbourg. Est-ce à dire que tout soit terminé ? On a du moins fait un grand pas en sortant de l’atmosphère des excitations. Au fond, la question reste toujours fort épineuse. Il n’est point douteux que la Russie, en faisant beaucoup moins de bruit que l’Angleterre, maintient avec une fermeté tranquille tout ce qu’elle a fait et même ce qu’elle se propose de faire. Bien loin de désavouer le général Komarof, l’empereur Alexandre III lui a prodigué les témoignages de confiance en lui envoyant un sabre d’honneur. Loin de livrer les points contestés de la frontière de l’Afghanistan, le cabinet de Saint-Pétersbourg paraît assez décidé à garder les positions qu’il a prises, à n’accepter qu’une délimitation avantageuse, et il ne se liera pas vraisemblablement par des engagemens trop précis au sujet d’Hérat ; mais l’Angleterre est déjà trop engagée elle-même dans la voie des transactions pour ne point aller jusqu’au bout, et de tout cet ensemble de faits, de ces inconsistances de conduite, de ces contradictions entre les emportemens de la veille et les concessions du lendemain, il résulte évidemment, pour le cabinet de Londres, une situation qui n’est pas plus facile à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Ce n’est point sans doute que les partis anglais fassent un grand