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ment inutilement prodigué leur courage et versé leur sang dans des combats meurtriers. Quel est maintenant le dernier mot de la politique anglaise dans ces régions ? Il a été dit, il y a quelques jours, par M. Gladstone et par lord Granville dans le parlement, sans soulever une vive opposition. On s’est décidé à abandonner le Soudan ; lord Wolseley a reçu l’ordre de ramener ses soldats. Si on reste provisoirement à Souakim, sur la Mer-Rouge, c’est en attendant de pouvoir céder la place à une autre puissance, probablement l’Italie, à qui on transmettrait cet embarras. Malheureusement, ce n’est pas là encore une solution. Le mahdi, qui peut se considérer comme vainqueur des Anglais, s’avancera nécessairement ; il descendra le Nil, il menacera l’Egypte proprement dite, et on aura reculé sans échapper à la guerre, tout au moins à la nécessité de maintenir sur des points déterminés du Haut-Nil un certain appareil de défense militaire. De sorte qu’après bien des mois d’occupation, d’agitation, l’Angleterre s’est crue obligée de faire une sorte d’aveu d’impuissance par l’abandon du Soudan ; et, d’un autre côté, jusqu’ici elle n’a certainement pas réussi à créer dans la Basse-Egypte une situation propre à rassurer les intérêts étrangers, l’Europe, qui semble moins que jamais disposée à laisser tout faire, à renoncer à ses droits de haute juridiction sur le Nil. L’Angleterre n’a eu sans doute qu’un but, elle n’a vu qu’un avantage dans cet abandon du Soudan, si brusquement annonce l’autre jour au parlement. Elle a tenu à se dégager, coûte que coûte, d’une entreprise dangereuse, nécessairement assez longue ; elle a voulu retrouver l’intégrité et la liberté de ses forces au moment où elle ne savait pas encore ce qui allait sortir de sa querelle avec la Russie sur la frontière de l’Afghanistan, et, de ce côté aussi, on peut se demander où en sont les Anglais, comment ils se sont tirés de cette autre épreuve, la plus grave de toutes, dans quelles conditions ils restent.

Un instant on s’est cru si près du plus redoutable des conflits en Asie et peut-être dans l’Occident, que tout ce qui a paru ramener une possibilité de paix a été accueilli à Londres aussi bien que sur le continent européen comme un grand soulagement. La Russie, par la correction de son attitude et de son langage, a certainement évité d’envenimer une question déjà assez périlleuse. L’Angleterre, de son côté, a fait, sans contredit, tout ce qu’elle a pu pour se défendre des emportemens de l’orgueil froissé, et la querelle, un moment si aiguë, a pu rentrer dans la phase des négociations de la diplomatie, où elle est encore aujourd’hui.

L’erreur de l’Angleterre est, non d’avoir fini par la modération et la conciliation, mais d’avoir débuté, peut-être, un peu trop bruyamment dans cette affaire. Elle a cru en imposer par cette entrevue de Rawul-Pindi, où le vice-roi des Indes, lord Dufferin, recevait avec tant d’apparat l’émir de l’Afghanistan représenté presque comme faisant l’avant-