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forcené en repoussant l’ingénue petite main qui avait l’audace d’y toucher : alors, mais alors seulement, la question est de savoir par quels répits et par quelles rechutes le malheureux achèvera de vivre : à moins d’un miracle, il est condamné. — Faut-il répondre, en passant, aux spectateurs qui souhaitent ce miracle ? Ils voudraient, ceux-là, qu’après le troisième tableau la toile ne fût plus relevée. Ils se retireraient bien vite, enchantés de cette heureuse fin et tranquilles sur l’avenir de Frédéri et de Vivette. Pour ces optimistes qui aiment à se coucher de bonne heure, Phèdre, aussitôt après le retour de Thésée, devrait se ranger à l’amour de son mari et faire part du mariage d’Hippolyte avec Aricie. Nous ne sommes pas si bénins : après cette crise, qui se termine par une halte du héros sur la pente de sa destinée, nous ne nous plaignons pas d’arriver, par une péripétie, à la catastrophe nécessaire de cette idylle tragique.

Une péripétie, quel autre nom que ce nom classique siérait mieux à ce quatrième tableau où l’on voit les fiançailles de Frédéri et de Vivette brusquement suspendues par un nouvel accès de passion ? Frédéri veut aimer Vivette, s’y exhorte ; il s’y force comme à l’accomplissement salutaire d’un devoir ; il bande sa blessure et sourit. Hélas ! quelques paroles d’un passant suffisent pour que l’appareil saute et que le sang jaillisse : car ce passant est Mitifio, qui enlèvera l’Arlésienne cette nuit. Il rapporte ici l’odeur de cette chair qui a pour jamais ensorcelé le jeune homme. Furieux de jalousie, de regret et de désir, Frédéri se jette sur son rival ; vainement on les sépare : la fin approche, la cruelle fin que nous prévoyons avec angoisse.

Et de quel mot encore le désigner, sinon de celui de catastrophe, ce dernier tableau, tout plein d’une terreur tragique ? Il montre d’abord la veillée de la mère épiant le désespoir de son fils : elle n’est pas dupe, la malheureuse, de l’accalmie qui s’est faite après l’orage, ni des chants ni des farandoles auxquelles le fiancé a pris part, ni du mélancolique et tendre discours par lequel il a voulu endormir son inquiétude ; la voici presque en travers de sa porte, guettant le crime qu’elle le soupçonne de méditer contre lui-même. Et quand le cadet de ses enfans a obtenu qu’elle se retire, quoi de plus saisissant que l’apparition de Frédéri sur le seuil de sa chambre, à demi vêtu, les yeux étincelans et fixes, avec l’aspect d’un homme qui s’est battu toute la nuit contre un rêve dont il ne se réveillera que dans la mort ? Quoi de plus familièrement solennel que la traversée de ce large grenier par les pieds nus de cet halluciné ? Quoi de plus affreux que l’éveil en sursaut de cette mère, sa stupeur à la vue de son fils, sa poursuite dans cet escalier fatal, sa lutte contre cette porte close, sa descente rapide comme une chute, sa course vers cette fenêtre, son cri de femme foudroyée ? Cependant cette horreur est produite par les moyens simples et