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croire quand il dit « qu’il ne réclame pas pour cette poésie du moyen âge l’admiration de ceux qu’elle ennuie ou qu’elle révolte, » et lui-même, dans ses jugemens, procéderait-il ainsi par boutades ? Ce serait trop peu scientifique. Mais il a ses raisons d’admirer, et les autres les leurs, qu’ils croient également bonnes, de ne pas admirer, ou d’admirer moins. Pour nous, et sans ombre de mauvaise humeur, nous aurions plaisir à lui déduire longuement les nôtres, s’il ne nous accordait de bonne grâce que sa poésie du moyen âge n’a manqué ni de « défauts généraux, » ni de « pauvretés, » ni de « faiblesses incontestables. » Car, en vérité, nous n’en avons jamais demandé davantage. Qui répondra même qu’il ne va pas bien loin quand il consent qu’il règne dans les Chansons de geste ou dans les Fabliaux, — M. Gaston Paris a le bon goût de ne pas écrire les Fableaux, — « un singulier mélange de bizarrerie et de banalité ? » que « l’expression y soit rarement originale, personnelle et nuancée ? » et que « le plus habituel des défauts que cette poésie présente, comme le plus insupportable, soit la platitude ? » Traite-t-on ainsi ce qu’on aime, s’écrieront ici quelques dévots ? et que dira M. Léon Gautier ?

A défaut de la beauté qui lui manque, on nous propose une autre raison de prendre à cette poésie du moyen âge un intérêt particulier. « Ou bien la nationalité française disparaîtra, nous dit-on, ce qu’à Dieu ne plaise ! ou bien elle voudra se retremper à ses sources vives et se fortifier par une sympathie tendre et ferme en même temps pour toutes ses manifestations sur le sol où elle s’est formée. » Je ne sais si M. Gaston Paris a fait attention comme son dilemme ressemblait à celui de M. Emile Zola : « Ou la république sera naturaliste, ou elle ne sera pas. » Ou vous reconnaîtrez dans Arnould Gréban le légitime prédécesseur de Corneille et de Racine, ou vous serez suspect d’être mauvais Français. Ou vous admirerez ces joyeusetés gauloises dont je ne pourrais seulement transcrire ici les titres, ou l’on vous accusera de manquer à vos aïeux. Ou vous vous pâmerez sur la geste de Guillaume au court nez, ou vous répondrez devant la postérité de la dissociation de la patrie commune.

Heureusement que le dilemme est moins fort qu’il n’en a l’air ; et nous pouvons en sortir par diverses issues. Par exemple, il n’est pas prouvé que la matière épique de nos Chansons de geste se soit formée sur notre sol gaulois, et M. Gaston Paris, autant qu’il me souvienne, est encore aujourd’hui de ceux qui lui donnent une origine germanique. Nous pouvons donc ici craindre à bon droit que notre sympathie ne se trompe d’adresse. Si nous laissons de côté ces problèmes d’origine, toujours complexes et toujours obscurs, il faudrait au moins que l’on nous montrât en quoi nos Mystères diffèrent sensiblement de ceux de l’Allemagne ou de l’Angleterre même, c’est-à-dire, en d’autres termes,