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nord-ouest, de soulever ceux de nos sujets asiatiques qui goûtent peu notre domination. » Aussi se faisait-on un devoir d’entraver les progrès de l’envahisseur. L’Asie centrale était devenue la terre classique de la politique interlope. La dextérité moscovite y était aux prises avec les artifices britanniques, la fausse bonhomie s’efforçait de tenir en échec l’apparente franchise ; l’assaillant creusait des mines, qu’on éventait par des contre-mines.

La diplomatie anglaise a eu le dessous. Tekkés ou Sariks, tous les Turcomans sont devenus des Russes, et les brigands se transforment en soldats du tsar. Aussi obstiné dans sa haine et dans sa défiance que Caton l’Ancien, sir Henry Rawlinson ne se lassait pas de dénoncer Carthage. Il répétait sans cesse que quiconque a pris Merv ne peut manquer tôt ou tard de prendre Hérat, et qu’Hérat est la clef de l’Afghanistan et de l’Inde. Les Russes ont pris Merv ; après Merv, ils ont pris Saraks, et il est douteux qu’en retour des concessions qu’on leur fait, ils daignent s’engager à ne point prendre Hérat. Les clos de l’Inde seront avant peu dans leur poche, et on s’avise un peu tard que le seul moyen de les empêcher d’entrer dans la maison est de la munir d’un gros et solide verrou. On eût mieux fait de commencer par là.

Les adversaires et les détracteurs du ministère libéral ne lui reprochent pas seulement ses échecs en Égypte et la faiblesse de sa conduite en Asie ; ils l’accusent par-dessus tout d’avoir par sa faute isolé l’Angleterre. Ils lui disent : « Où sont vos amis ? ou sont vos alliés ? » C’est un principe de la politique anglaise que, pour avoir dans le monde ses coudées franches, elle doit se ménager l’amitié d’une puissance continentale, toujours disposée à lier partie avec elle. Les Anglais étaient parvenus à se persuader que les événemens de 1871 et le changement qui s’est opéré dans la distribution des forces en Europe tourneraient à leur profit, que l’hégémonie de l’Allemagne, puissance pacifique, magnanime et raisonnable, n’aurait pour eux que des avantages. L’affinité des races et des langues, la conformité des intérêts, les liens du sang qui unissent les familles souveraines, tout faisait croire qu’on s’entendrait facilement. On ne s’est pas entendu. Il ne suffit pas à M. de Bismarck qu’on lui veuille du bien, il exige qu’on se donne à lui, et l’Angleterre n’aime pas à se donner. Il ne l’a pas trouvée assez souple ; il en a pris de l’humeur, et il s’est appliqué à faire le vide autour d’elle.

Les Anglais se flattaient que l’Allemagne emploierait sa prépondérance à tenir en respect ses voisins, à réprimer leurs complots, à remplir l’office d’un bon et vertueux gendarme, toujours prêt à appréhender au collet tout royaume ou toute république qui s’aviserait de troubler le repos de l’Europe. Ils se flattaient aussi que, bornant son ambition