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montrer de quelle manière ils sont appliqués par l’Autriche-Hongrie dans les provinces dont l’Europe lui a confié l’administration ; et si nous nous y sommes arrêtés complaisamment, c’est, qu’il nous paraît, nous le répétons en finissant, que nous devrions en tirer une leçon. Nous sommes malheureusement gouvernés aujourd’hui en France par des chambres qui semblent regarder comme leur première fonction, comme leur principal devoir, de combattre avec acharnement l’idée religieuse sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations. Qu’elles se livrent à cette propagande antilibérale dans l’intérieur de nos frontières, c’est déjà une faute dont nous risquons d’être un jour sévèrement punis. Mais elles ne s’en tiennent pas là. Elles vont combattre une religion qui leur déplaît jusque dans nos colonies, et elles croient avoir remporté un succès considérable lorsqu’elles ont rogné le traitement de quelque évêque ou détruit, dans ces contrées à peine françaises, des écoles ecclésiastiques qui répandaient notre langue, notre esprit, nos mœurs, plus encore qu’une foi particulière. Elles ne s’aperçoivent pas qu’elles blessent ainsi, dans le seul sentiment qui pourrait les rattacher à nous, ces populations italiennes et espagnoles de l’Algérie qui menacent de nous submerger sur un territoire conquis au prix de notre sang. D’autre part, c’est avec une indifférence profonde que nos pouvoirs publics passent à côté des plus graves problèmes que soulève la question musulmane. Nous nous vantons d’être le peuple le plus assimilateur de la terre, le plus propre à se plier aux mœurs étrangères, celui qui comprend le mieux les idées du dehors, et nous transportons parmi des peuples nouveaux et dans des contrées barbares les passions étroites et les vues mesquines de nos chefs-lieux d’arrondissement ! La politique des cafés de province dirige nos entreprises coloniales ! L’Autriche-Hongrie est mieux inspirée : elle sait que la religion est une force dont il faut tenir compte, et l’on vient de voir qu’elle agit avec une largeur d’esprit que nous n’avons plus. Sommes-nous donc destinés à ne profiter ni de notre propre expérience, ni de l’exemple des autres ? La puissance d’expansion de notre pays, jadis si grande, doit-elle être arrêtée par les petites barrières des préjugés de village, qui deviendraient la borne sur laquelle le génie de la France se brisera ?


GABRIEL CHARMES.