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criminelle. Tout cela fait partie de l’ensemble connu sous le nom de kanun. En fait, le chériat n’est resté en vigueur que pour les intétérêts matériels, dans les questions purement civiles et les points controversés. Mais les juges ecclésiastiques (mollah, naïb, cadi n’avaient même pas entièrement conservé la juridiction civile : à côté d’eux s’étaient élevés des tribunaux laïques, et les juges ecclésiastiques, qui partout en général, mais surtout en Bosnie et en Herzégovine, étaient désignés sous le nom de cadis, n’avaient gardé la pleine juridiction que dans les affaires de famille, de mariage ou d’héritage, dans les questions de tutelle et dans certaines questions immobilières, notamment à propos des vakoufs.

Les choses en étaient là avant l’occupation austro-hongroise. Or, comme les chrétiens avaient aussi l’habitude de porter les affaires de famille et d’héritage devant les conseils ecclésiastiques, les cadis n’avaient à s’occuper de ces questions, par rapport à la population chrétienne, qu’autant que l’une des parties manifestait la volonté formelle d’en appeler à la justice. Il faut ajouter toutefois que, dans certaines provinces, même en Bosnie, cet appel à la justice, c’est-à-dire à l’ingérence des cadis, était devenue peu à peu la règle générale pour les chrétiens. En revanche, les musulmans ne pouvaient se résoudre à admettre la juridiction des cadis pour leurs affaires de famille, attendu que, chez eux, le droit matrimonial et le droit héréditaire sont liés de façon absolue aux lois religieuses et qu’au surplus le Koran a réglé toutes ces matières avec la plus grande précision. Très au courant de cette situation, le gouvernement austro-hongrois ne voulait et ne pouvait pas faire table rase pour introduire de nouvelles institutions qui auraient été mal comprises et qui auraient mal fonctionne. Décidé, au contraire, à respecter les sentimens religieux des Bosniaques, il était tout disposé à laisser aux cadis leur sphère d’attributions. Il le désirait d’autant plus qu’il lui était impossible de demander à ses propres fonctionnaires judiciaires, déjà surchargés de travail et arrivant dans un pays inconnu, de se mettre à étudier la loi religieuse musulmane. Il était trop évident, d’ailleurs, que les musulmans les auraient accueillis avec la plus grande défiance. Les cadis (on peut même dire les naïbs) demeurèrent donc en fonctions, comme juges de première instance, dans toutes les affaires de chériat. Quant à la seconde instance, elle appartenait précédemment au kadiask-jerat du cheik-ul-islam à Constantinople. Pour y suppléer, tout en maintenant l’autonomie des provinces occupées, on a installé près de la haute cour de justice à Serajewo une section du chériat composée de juges musulmans. Au début, on a laissé les cadis connaître des affaires d’héritage pour les chrétiens, on ne la leur a