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celui des autres cultes, à des fonctions sacrées, il a aussi dans ses mains la justice, ou du moins une partie importante des fonctions judiciaires.

Il était donc conforme aux traditions de l’islamisme qu’au moment où la Bosnie et l’Herzégovine se séparaient de l’empire, une sorte d’église autonome se formât, pour le culte musulman, dans les provinces occupées. Elles ne restaient plus en relations avec le sultan-calife qu’au point de vue purement dogmatique, en tant qu’elles le reconnaissaient comme la plus haute personnalité religieuse et que son nom figurait dans les prières ; mais, en réalité, la nomination des juges ecclésiastiques, comme de tous les autres dignitaires du clergé, devait avoir lieu désormais en dehors de lui, de même qu’en dehors du cheik-ul-islam, son représentant pour l’empire turc. Nous avons déjà dit qu’au début de l’occupation, les musulmans avaient adopté spontanément cette manière de voir, puisque leur vœu le plus cher était d’obtenir une hiérarchie religieuse spéciale, appropriée au pays et ayant à sa tête un des leurs, nommé par l’empereur d’Autriche, lis demandaient spécialement que ce haut dignitaire exerçât une influence réelle sur l’éducation et le recrutement des juges ecclésiastiques, cadis et naïbs. Ce vœu des musulmans bosniaques était d’autant plus significatif qu’au temps de la domination turque, ils étaient, à la vérité, des sujets fort insoumis, mais néanmoins d’ardens défenseurs de l’islamisme. Il était bien clair qu’ils n’avaient pas brusquement changé d’opinions ; et pourtant on les voyait soumettre à un gouvernement chrétien leurs souhaits et leurs demandes. Mais aussi ce gouvernement était tenu d’agir avec la plus grande circonspection, de procéder à la réorganisation ecclésiastique avec la plus extrême prudence. Lorsque le ministre chargé des deux provinces, M. de Kallay, les visita pour la première fois à la fin de l’été de 1882, les musulmans lui réclamèrent de nouveau la nomination d’un reis-el-uléma, à côté duquel serait placé un conseil délibérant, une sorte de consistoire composé de théologiens et de juristes musulmans sous le nom de medjliss-i-uléma. Rien ne s’opposait, d’après la doctrine mahométane, à la réalisation de ce désir. Toute la question était de trouver parmi les musulmans indigènes une personne remplissant les conditions nécessaires pour être élevée à un poste aussi important que celui de reis-el-uléma, et surtout ayant assez d’autorité pour se faire reconnaître de tout ce pays. Si le choix du titulaire, en effet, avait dû provoquer des réclamations ou produire des conflits, tout l’effet de la mesure eût été absolument compromis. Mais, par bonheur, on apprit bientôt que le mufti de Serajewo, Hilmy-Effendi, jouissait, parmi ses coreligionnaires d’un