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effet, ils manifestèrent certaines tendances à constituer en Bosnie, comme l’avaient fait autrefois les patariens, une église bosniaque autonome, abstraction faite, nous le répétons, de toute croyance hérétique. Depuis des siècles, ils se recrutaient presque exclusivement parmi les Bosniaques indigènes. Même dans les cérémonies extérieures du culte, ils affectaient de conserver fidèlement certaines particularités spéciales à la Bosnie, et cela était surtout remarquable pour leurs costumes, qui ne concordaient pas entièrement avec les prescriptions de l’ordre. Il semblait surtout qu’ils ne pussent se séparer du fez et de la barbe. Lorsqu’on rencontrait un franciscain à cheval, avec sa longue barbe, le fez rouge sur la tête, les pistolets à la ceinture, il ne venait guère à l’idée que l’on eût affaire à un prêtre catholique. C’est ainsi pourtant que se présentaient presque tous les franciscains au moment de l’occupation. Ils veillaient également avec un soin jaloux sur ce qu’ils appelaient leurs privilèges. Ils firent, par exemple, il y a deux siècles, une opposition ardente aux trappistes lorsque ceux-ci vinrent fonder un couvent en Bosnie.

En dehors du diocèse de Trebinje-Raguse, dont nous avons parlé plus haut, il n’y avait en Herzégovine et en Bosnie aucun prêtre catholique séculier. L’influence des franciscains sur la population catholique, dont ils émanaient et qu’ils étaient appelés à représenter devant les tribunaux ou dans les conseils administratifs, était pour le moins aussi grande que colle des ulémas sur les mahométans. Même aux yeux des Turcs, ils jouissaient d’un certain prestige, plus considérable à coup sûr que celui du clergé grec. Lorsqu’ils étaient malades, les musulmans réclamaient le secours des franciscains et prenaient volontiers des amulettes bénies par eux. Bien qu’ils fussent vraiment à l’échelon le plus bas de la culture sociale, les franciscains de Bosnie n’en étaient pas moins fort supérieurs à leurs coreligionnaires et aux prêtres orthodoxes. Ils avaient de réelles connaissances théologiques et même scientifiques, car s’ils recevaient l’instruction première dans leurs couvens, ils allaient achever leurs études dans les établissemens scolaires de Hongrie et de Croatie, à Diakovar (Slavonie), et plus tard à Gran (Hongrie). Ajoutons à cela les subventions que leur accordait l’étranger, car l’église catholique dans ces provinces, par suite des traités conclus entre l’Autriche et la Turquie, avait toujours été placée sous la protection spéciale de l’Autriche : elle recevait, comme nous l’avons dit, aussi bien de la monarchie des Habsbourg que de la France des secours importans. Non seulement on aidait les franciscains à construire leurs églises, mais on veillait à leurs intérêts ; et le gouvernement autrichien les défendit plusieurs fois auprès de la Sublime-Porte.