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le titre d’archevêques ou métropolitains. Le Phanar de Constantinople, en effet, suivant l’exemple de la Porte elle-même, avait contracté l’habitude de distribuer des dignités ecclésiastiques contre le paiement d’une somme d’argent. Il est arrivé souvent qu’il en a distribué à des gens qui n’y avaient aucun droit, et c’est également de cette façon que les évêques de Bosnie, bien qu’ils ne résidassent nullement dans des métropoles, ont pu s’arroger le nom de métropolitains. Le diocèse le plus considérable était et est encore celui de Serajewo. Il comprend deux cent soixante-huit cures, tandis que le vladika (évêque) de Zwornik n’a que quarante-deux cures sous ses ordres, et celui de Mostar soixante-quinze. Auprès de chacun de ces évêques siégeait, en guise de consistoire, un synode diocésain, composé des principaux habitans du diocèse. Le synode avait pour mission d’administrer les domaines ecclésiastiques et de surveiller l’enseignement dans les écoles. Le haut clergé orthodoxe se recrutait rarement parmi les indigènes. C’étaient les Grecs qui lui fournissaient son contingent principal de prêtres, — ce qui répondait aux intérêts du gouvernement turc aussi bien qu’à ceux du Phanar et du patriarche, leur docile instrument, — mais ce qui ne convenait pas du tout aux habitans de la Bosnie. C’est même là ce qui les a conduits, par esprit d’opposition, à se nommer Serbes et non Grecs, bien que cette dernière désignation soit appliquée dans tout l’Orient aux adeptes de leur rite, sans distinction de nationalité.

Les prêtres orthodoxes ont fourni à leurs coreligionnaires en Bosnie et en Herzégovine bien des sujets de plaintes, et souvent leurs réclamations sont parvenues jusqu’à la Sublime-Porte. Les vladikas n’étaient pas seulement obligés, ainsi que nous l’avons dit, de demander leur investiture au patriarche et de l’obtenir à l’aide de grosses sommes d’argent, ils devaient encore lui payer chaque année un tribut de 58,000 piastres en or (environ 6,000 florins) ; et, pour rentrer dans leurs déboursés, ils vendaient à leur tour les charges ecclésiastiques, et prélevaient avec un soin jaloux les redevances imposées à la population orthodoxe (les vladikarina), sans se préoccuper aucunement du bien-être et des souffrances de leurs ouailles. Les popes (curés), placés sous leurs ordres, devaient eux-mêmes pressurer effrontément les populations, sous peine de rester dans une misère indigne de leur situation. Ces pauvres popes étaient souvent ouvriers ou paysans en même temps que prêtres. Ils ne se distinguaient du peuple, même sous le rapport du costume, que par leur coiffure et aussi par la longue barbe qu’ils portaient, conformément aux rites consacrés. Il n’existait dans le pays aucun établissement pour l’instruction du clergé, de sorte que les candidats aux fonctions ecclésiastiques, appartenant aux deux provinces, en étaient réduits à aider les popes ou, dans le cas le plus avantageux, à entrer dans