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évidente. Il nous reste à exposer leur organisation respective. L’organisation religieuse de l’islam est absolument différente de celle des cultes chrétiens. Ce que nous appelons, à proprement parler, une organisation est même inconnu à l’islamisme : l’état ecclésiastique n’y existe pas. La consécration des prêtres est chose entièrement étrangère aux mahométans, qui n’ont ni sacremens, ni sacrifice religieux. Il n’y a, pour ainsi dire, qu’un prêtre en Turquie : c’est le sultan, en sa qualité de calife. Comme successeur du Prophète, il est l’intermédiaire entre Dieu et les croyans et reçoit seul une sorte de consécration. Le corps ecclésiastique se compose des ulémas, qui ne sont pas prêtres, mais docteurs et chargés, comme savans, de maintenir les traditions de la religion et du droit, inscrites dans le Koran. Ils remplissent les fonctions de juges (cadis, mollahs), d’instituteurs, de prédicateurs. Ils sont aussi les muftis, c’est-à-dire les gardiens de la loi musulmane et les rédacteurs des décisions du droit théologique (fetwa). Il faut comprendre encore dans le corps ecclésiastique les employés et les serviteurs les plus infimes des mosquées, parmi lesquels les imans qui récitent les prières. Quant aux derviches, ce sont en quelque sorte des religieux laïques ; ils forment une sorte de congrégation libre et ne font pas partie de l’église officielle. Le cheik-ul-islam, à Constantinople, n’est pas autre chose, comme on sait, que le mufti suprême ; il est le chef des juges ecclésiastiques ; c’est lui qui confère les grades supérieurs en théologie, notamment le titre de docteur. Les ecclésiastiques mahométans, dans l’empire turc, sont appelés à juger toutes les affaires de famille, de mariage ou d’héritage concernant les musulmans. Quelquefois même ils se prononcent également sur les héritages échus aux chrétiens ou sur certaines questions immobilières ; mais surtout ils ont une juridiction pleine et entière sur les vakouf ou evkaf, c’est-à-dire sur les biens consacrés à des fondations mahométanes. Le vakouf n’est pas exclusivement, comme on est souvent porté à le croire, un fond religieux. Le mot s’applique à toute fondation répondant aux vues du Koran, qu’elle soit destinée à une mosquée, à une école, à une fontaine ou à un hôpital. Dès que l’objet de la donation est prévu par le Koran, c’est un vakouf. Les ecclésiastiques vivent et entretiennent leurs temples à l’aide de ces fonds ainsi qu’à l’aide de la dîme que le gouvernement les autorise à percevoir à sa place sur certains biens (Gedik-Timar). Le clergé musulman dépend donc, quant à sa nomination et à ses appointemens, des communes musulmanes et de l’administration des vakoufs qui lui sont attribués. Les comptes des vakoufs sont envoyés, de toutes les provinces de l’empire, au ministère spécial institué à Constantinople (Evkaf ministerium), qui les examine avec soin. Mais, comme nous l’avons dit, les ecclésiastiques n’ont pas de supérieur direct, à part le cheik-ul-islam. Les