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Ristjani[1], — et en Latins (Krstjani[2] ou catholiques. Ces désignations, à elles seules, indiquaient déjà la tendance à considérer les sectateurs d’un culte comme formant une nation à part. Autant la séparation entre ces cultes était sévèrement établie, autant il était difficile de passer de l’un à l’autre. Le changement de confession était assujetti à des formalités qui avaient surtout pour objet d’empêcher les convertis de céder à une influence étrangère. Mais, au début, quiconque désertait l’islam était puni de mort. Il en était encore ainsi à Constantinople en 1843. À cette époque, la pénalité primitive fut abolie ; en 1859, elle fut remplacée par le bannissement. Mais cette décision n’eut jamais force de loi ; les ulémas fanatiques refusèrent constamment de la reconnaître. Un autre motif empêchait d’ailleurs les mahométans d’abandonner leur religion : il était défendu à un musulman d’épouser une chrétienne et à une musulmane d’épouser un chrétien. De telles unions, d’après la loi turque, ne pouvaient être contractées que devant le cadi, qui s’y refusait toujours. D’ailleurs l’état musulman faisait preuve d’une certaine tolérance envers les autres cultes. En principe, il leur accordait même sa protection. Mais, en réalité, ces cultes n’étaient nullement placés sur le même pied que la religion musulmane et, dans la pratique, la tolérance légale n’existait pas de la part de la population. Déjà, lors de la paix de Vienne, en 1615, le sultan Ahmed Ier avait promis à l’empereur austro-allemand Mathias que les catholiques pourraient bâtir des églises en Turquie. Cette promesse fut un simple leurre. Les lois édictées contre les chrétiens, au VIIe siècle, par le calife Omar, restèrent en vigueur jusqu’au XIXe siècle. Le hatti-humayoum de l’année 1836 permit pour la première fois aux chrétiens de restaurer leurs églises, et même d’en construire de nouvelles, à la condition que ce fût dans les localités ou dans les quartiers exclusivement habités par des personnes de leur religion. Peu à peu, on en autorisa la construction dans les quartiers de population mixte, mais ce ne fut que d’une manière exceptionnelle. En thèse générale, les prescriptions du hatti-humayoum demeurèrent, elles aussi, à l’état de lettre morte. Ce qui causa surtout de grandes difficultés, ce fut l’autorisation de sonner les cloches. On ne put jamais l’obtenir qu’au prix des plus grands efforts et dans des circonstances particulières. Les chrétiens de Bosnie s’en montraient d’autant plus affectés qu’ils regardaient ce refus de laisser sonner les cloches comme un signe visible de leur dépendance.

Ainsi les confessions en Bosnie, au moment de l’occupation, étaient les unes vis-à-vis des autres dans une situation d’inégalité

  1. Du mot Hrist : Chrétien.
  2. Du mot Krst : la Croix.