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souverain. Peu importe que, six mois à peine après la publication de cette sentence, Charles II ait réussi avec l’appui du duc de Bourgogne à se faire remettre les peines qui lui avaient été infligées ; moralement, le coup n’en était pas moins porté. Une condamnation aussi solennelle rendue contre le duc de Lorraine dut produire dans cette partie de la vallée de la Meuse qui s’étend de Neufchâteau à Vaucouleurs un effet considérable ; elle exalta encore, s’il est possible, les sympathies enthousiastes des populations de cette région pour la France et la royauté française. Neufchâteau est la ville la plus rapprochée et, de temps immémorial, a été le marché habituel de Domremy situé deux lieues seulement plus au nord. Nul doute, par conséquent, que les habitans de ce dernier village n’aient été des premiers à apprendre et à fêter le triomphe remporté par les Neufchâtelois leurs voisins en qui ils trouvaient de si précieux coreligionnaires politiques ; et comme l’arrêt porte la date du 1er août 1412, il n’est postérieur que d’environ six mois à la naissance de Jeanne d’Arc.

L’humble enfant qui devait être l’instrument du salut de son pays naquit donc et grandit au milieu de cette effervescence patriotique. Ce qu’on peut appeler la légende mystique de la royauté française plana sur l’enfonce et l’adolescence de la petite Jeannette, comme on l’appelait dans son village. D’ailleurs, il s’était rencontré un heureux concours de circonstances rarement réunies qui faisait alors de l’obscur village de Domremy l’un des milieux les plus propices au plein épanouissement de cette légende. À une date que l’on ne saurait fixer d’une manière précise, mais certainement pendant le premier quart du XVe siècle, Pierre de Bourlemont, qui avait succédé comme seigneur de Domremy à Jean son père, était mort sans laisser d’enfant ; et ses seigneuries de Greux et de Domremy avaient passé à sa nièce Jeanne de Joinville, fille de sa sœur Jeanne de Bourlemont et d’André de Joinville. Une jeune châtelaine d’origine champenoise rentrait ainsi en possession de deux seigneuries situées à l’extrémité méridionale de cette châtellenie de Vaucouleurs que l’un de ses aïeux avait naguère cédée en totalité à Philippe de Valois. Cette jeune châtelaine avait beau être mariée à un seigneur lorrain, Henri d’Ogéviller, chambellan de Charles II et son bailli du Vosge ; elle n’en appartenait pas moins à une famille française entre toutes, elle n’en comptait pas moins parmi ses ancêtres ce bon sénéchal de Champagne qui avait immortalisé dans des récits d’une naïveté éloquente la sainteté d’un roi de France. Comment Jeanne de Joinville, à moins de renier son origine, n’aurait-elle pas eu à cœur de propager dans son entourage le souvenir de relations où le prestige des fleurs de lis et l’illustration de sa race trouvaient également leur compte ! Quoi qu’il en soit, nous ne sommes