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mais les bogomiles rejetaient le dogme de la transsubstantiation. Ils célébraient à leur manière la Noël, la Pâque, la Pentecôte, pratiquaient la confession, observaient le carême, disaient le Pater avec la variante : Da nobis panem supersubstantialem. Le commun des fidèles était soumis à l’observation sévère des principes de la religion ; toutefois, moyennant une redevance payée aux parfaits, le mariage, la possession de la femme, l’usage de chaque nourriture pouvaient être autorisés. Le mariage s’obtenait aisément ; la séparation ne faisait aucune difficulté, et c’était une attraction qui, séduisant bien des personnes, procurait de nombreux prosélytes à la nouvelle religion.

Tel était en peu de mots le bogomilisme, qui se répandit, sous une forme modérée, dans les couvens gréco-bulgares. C’est de 925 à 950 qu’il s’introduisit comme secte en Bulgarie. Samuel, prince bulgare, exila son fondateur Jérémie et ses disciples. Mais le bogomilisme ne devait pas périr. L’église orientale, dépourvue de cette autorité centrale et de cette forte discipline qui rendaient l’église occidentale si puissante et si forte dans la préservation du dogme, était une terre féconde pour toutes sortes d’hérésies. L’esprit spéculatif qui caractérise les Pères de l’église orientale, le goût de la contemplation mystique qui fermente sans cesse en Orient, faisaient de chaque moine un rénovateur en fait de foi. L’hérésie pullulait. Après son expulsion, Jérémie s’enfuit à Duklja, et nous trouvons au cours du XIe siècle dans les villes de la côte de Dalmatie de nombreux sectateurs de sa doctrine. C’est par cette route que les premiers bogomiles arrivèrent en Bosnie. Pendant que les catholiques luttaient lentement pour la vie, la secte s’y répandit inopinément, tout à fait appropriée à la conception slave du monde. Non-seulement elle fut favorisée par les conflits ecclésiastiques et par le concours des circonstances politiques, mais elle ne le fut pas moins par l’état de culture où étaient alors les Bosniaques, qui, incapables de s’assimiler aisément le christianisme oriental et occidental, se laissèrent involontairement incliner vers la foi fabuleuse et fantastique, remplie de bons et de mauvais esprits, des bogomiles, foi très simple, très peu compliquée et qui donnait néanmoins tant de jeu à la fantaisie. Aussi les bogomiles s’étendirent-ils tranquillement durant deux siècles en Bosnie, tandis que leurs coreligionnaires, les patariens italiens et bulgares, étaient sévèrement poursuivis. Ni le peuple ni ses chefs ne se rendaient bien compte que la nouvelle doctrine fût une hérésie, ainsi que le prouve l’aveu fait à Borne en 1199, par le ban Kulin, qui, cité devant le saint-siège, déclara n’avoir pas su quelle était la vraie religion, la catholique ou la patarienne. Il est remarquable que le bogomilisme a surtout