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les principaux étaient les ducs de Lorraine et de Bar, le comte de Vaudemont, le damoiseau de Commercy, les évêques de Metz, de Toul et de Verdun. Comme ces grands feudataires étaient presque toujours en guerre, les seigneurs de moindre importance ne se faisaient pas faute de profiter de ces rivalités, de ces divisions pour relâcher et même pour rompre les liens de vassalité qui les enchaînaient ; suivant leur intérêt du moment, on les voyait prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérans ; la conflagration s’étendait ainsi de proche en proche, et le feu de la guerre ne s’éteignait sur un point que pour se rallumer sur un autre.

Combien meilleure la situation des habitans de la rive française, d’autant meilleure que le spectacle si rapproché des escarmouches continuelles livrées sur l’autre rive par l’humeur batailleuse d’une féodalité sans frein leur faisait apprécier encore davantage la sécurité, la tranquillité relatives dont ils jouissaient ! Ici, le parlement et le bailli de Chaumont tenaient la main à l’exécution des ordonnances interdisant les guerres privées ; la justice royale punissait sévèrement les contrevenans, et si quelque acte de violence était commis par un seigneur, il arrivait rarement que le crime ne donnât pas lieu à des poursuites et ne fût pas suivi d’une répression. On ne saurait trop insister sur ce point de vue parce que l’on y trouve l’explication de l’attachement passionné, on pourrait presque dire du culte enthousiaste que les populations de la haute Meuse avaient voué à la royauté française sous les premiers Valois. C’est l’épée qui remporte les victoires, c’est l’intelligence qui assure la suprématie politique, mais c’est la justice qui fait les conquêtes morales, les plus précieuses de toutes, et c’est l’honneur de nos rois des XIIIe, XIVe et XVe siècles d’avoir exercé ce rôle de justiciers au-delà même des limites de leur royaume. Vers le milieu du règne de Charles VI, on vit une ville de Lorraine, rattachée, il est vrai, féodalement et judiciairement à la Champagne depuis la première moitié du XIIIe siècle, manifester hautement ses préférences pour notre pays. Cette ville, ce fut Neufchâteau ; de pacifiques bourgeois osèrent entrer en lutte ouverte contre Charles II leur duc ; ils se laissèrent frapper à plusieurs reprises et pendant de longues années dans leurs personnes comme dans leurs biens par attachement au roi de France, dont ils avaient fait apposer les armes sur leurs maisons. Le parlement de Paris, saisi de ce différend entre Charles II et ses bourgeois de Neufchâteau, condamna le duc de Lorraine. Ce prince fut frappé de la peine du bannissement, de la confiscation de ses biens situés en France ainsi que d’amendes considérables ; en même temps, une punition plus sévère encore fut prononcée contre tous les seigneurs, les fonctionnaires et les hommes d’armes du duché qui s’étaient rendus plus ou moins complices des divers méfaits reprochés à leur