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romaine à celui de Dioclea-Antivari ; puis, au cours du même siècle, il fut séparé de celui-ci pour être joint à l’évêché de Raguse. La lutte entre les deux évêchés ne contribua pas médiocrement à la décadence de l’église latine et à l’état d’infériorité dans lequel elle tomba peu à peu vis-à-vis de sa rivale.

Mais la politique aussi joua un rôle important dans le mouvement religieux du banat de Bosnie. La Hongrie s’agrandissant au XIe siècle, prit sur les Croates une influence décisive. Sous le roi Koloman, elle s’avança jusqu’à l’Adriatique. Ses ambitions entrèrent immédiatement en conflit avec les intérêts de l’empire de Byzance. Les Arpads se font les champions du catholicisme romain contre les schismes des empereurs grecs. Toute l’histoire religieuse de la Bosnie d’alors se résume dans cette lutte. « Si les Comnènes l’emportent, le schisme se répand ; avec le pouvoir des Arpads croît le catholicisme. » La conversion au christianisme des races slaves du Sud, leur progrès vers la civilisation, dépendent de cette double alternative. Leurs croyances primitives étaient un singulier mélange de superstitions grossières, de foi au merveilleux, de crainte des puissances supérieures et de pressentimens mystiques. Par là l’église de Byzance, tout imprégnée de vieilles coutumes, répondait mieux que l’église romaine à leurs instincts profonds. De plus, ses missionnaires avaient l’immense avantage de parler slave, tandis que les missionnaires latins, excepté au IXe siècle, du temps de Cyrille et de Méthode, étaient forcés de s’appuyer sur les élémens italiens. Les choses restèrent donc en cet état jusqu’au moment où le roi de Hongrie, Béla III, nomma Kulin, en 1168, banus fiduciarius regni Hungariœ. Le règne de Kulin fut une époque décisive dans l’histoire religieuse de la Hongrie. Le schisme grec s’était organisé définitivement et avait gagné bien du terrain en Serbie et dans la Bosnie de l’est ; le catholicisme ne pouvait s’appuyer, pour lui résister, que sur le jus reformandi des souverains et de la noblesse, en vertu duquel le sujet était obligé à observer la religion de son maître, il était donc très affaibli ; les églises de Dalmatie tombaient en ruines ; l’heure était favorable pour l’éclosion d’une nouvelle hérésie entre les deux confessions chrétiennes : c’est alors qu’apparut le bogomilisme, appelé tantôt secte patarienne et tantôt secte catharienne. Le développement du bogomilisme allait troubler de la manière la plus grave l’existence nationale de la Bosnie.

Le bogomilisme était une sorte d’hérésie manichéenne appropriée au tempérament particulier des peuples slaves. Manès, le fondateur prétendu du manichéisme, a, comme on sait, mélangé l’ancienne religion indo-persane au mysticisme chrétien. Sa doctrine est une sorte de fable philosophique et poétique, qui suppose pour point de départ le combat éternel entre les bons et les mauvais élémens