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d’enjambement où se trahit l’influence d’André Chénier et, de loin en loin, il vous arrive de rencontrer tel passage qui ne serait pas déplacé dans un poème du Victor Hugo de la première époque.

A l’heure où sous le chaume, au chant de la cigale,
Le laboureur s’assied à sa table frugale,
Jeanne d’Arc, au milieu de cinq cents palefrois,
Sur un des chevaux blancs qu’on réservait aux rois,
Par la porte de l’Est, de ses armes couverte,
Entra dans Orléans, cité de sainte Euverte.


Ainsi le grand poète dira plus tard dans les Burgraves :

Othon de Wittelsbach, palatin de Bavière,
Poussa son cheval noir jusque dans la rivière,
Et, s’offrant seul aux coups pleuvant avec fureur,
Il cria : « Commençons par sauver l’empereur ! »

Vers de race, colorés, martelés, splendides, qui sont pour l’enchantement de l’oreille ce qu’une toile de Véronèse est pour les yeux, et dont on peut dire, à l’honneur de Soumet, qu’il sait, par moment éveiller l’écho !

Victor Hugo, — nul autre que lui ne semblait né pour être le Dante d’une épopée de Jehanne la Pucelle. Pourquoi cela ne s’est-il pas rencontré ? A défaut d’une Notre-Dame de Paris en vers, pourquoi n’avons-nous pas eu même un drame ? Chi lo sa ? Peut-être n’a-t-il manqué que l’occasion et que, si Rachel l’eût voulu ! ., mais Rachel n’avait point la foi qui soulève les montagnes ; elle était de ces talens superbes dont la vie s’use à mettre en action la maxime stérile et néfaste du : « Moi, dis-je, et c’est assez ! » Voulant jouer Jeanne d’Arc, elle prit la tragédie de Soumet, comme elle eût pris celle de Davrigny, sans y regarder davantage. Un beau chapitre d’histoire dramatique à rédiger : l’influence de la comédienne à la mode sur les productions de l’esprit. D’un côté, les femmes d’initiative, les Clairon, les Dorval, les Desclée, celles qui luttent, se dévouent et meurent pauvres, les vraies missionnaires ; de l’autre, les Olympiennes de la personnalité, indifférentes à tout ce qui n’est pas leur propre gloire, et, — finalement, ces énergies brouillonnes et gloutonnes, vampires toujours en quête d’une proie à dévorer, à galvauder, fût-ce Shakspeare. Supposons que Rachel, au plein de son règne, fût venue dire à Victor Hugo : « J’ai le désir de jouer Jeanne d’Arc, mais voici que cette fois la tragédie manque à la tragédienne ; Corneille et Racine ayant négligé d’en composer une sur le sujet, vous allez m’aider, vous, à réaliser mon rêve. » On se plaît à croire que dans ces conditions le poète eût volontiers cédé. La chose ne