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inébranlable en sa résolution d’être jugée, et le drame se réconcilie avec l’histoire, au moins par son dénoûment, où figurent le procès, le bûcher et la colombe symbolique du Légendaire.


III

J’ai reproduit ce document pour servir un jour ou l’autre à la littérature de l’avenir sur Jeanne d’Arc, car il n’est guère à supposer qu’en cette matière la poésie s’arrête au point où nous la voyons. Ni Shakspeare, ni Schiller n’ont dit le dernier mot, et, si quelque chose a droit d’étonner le monde, c’est que ce dernier mot, la France ne l’ait pas dit elle-même et depuis longtemps. Il y a en poésie une Jeanne d’Arc anglaise, une Jeanne d’Arc allemande, il n’y a point de Jeanne d’Arc française ; la tragédie de Davrigny, celle de Soumet et son épopée, puis çà et là d’autres reproductions successives, d’autres dithyrambes et d’autres guitares : ecce thésaurus omnis !

Ce n’était pourtant pas un vulgaire assembleur de rimes que cet Alexandre Soumet, l’auteur de Saül, de Norma, d’Elisabeth de France[1]. On ne se figure pas ce que le répertoire de Schiller aura ainsi valu à la patrie française de poètes tragiques et d’académiciens. Talent réflecteur, effarouché de lyrisme et de mysticisme, Soumet ne vivait que de rêvasseries ; son idée, longtemps bercée et caressée dans l’abstraction, se symbolisait en toute sorte de personnages incroyables qu’il lâchait en pleine histoire à l’état de types. Son épopée de Jeanne d’Arc nous offre les divagations et l’embrouillement de son cerveau sous des costumes du moyen âge ; ses idées ont des griffes aux pieds et se promènent blasonnées de toute espèce d’animaux héraldiques et coiffées de gigantesques hennins échafaudés de cornes. La reine Isabeau, liguée avec l’enfer contre Jeanne d’Arc, vient trouver son nécromant de service qui répond au nom fantastique de Trémoald :


Je viens me confier, Trémoald, à ton art.
— Parle donc, que veux-tu de moi ?
— Je veux connaître
Si le beau Noémé, depuis neuf jours parti,
Pour tuer Jeanne d’Arc et venger mon parti,
A tenu son serment. Je l’attends et je l’aime !


Trémoald, Noémé, Mac-Eldor, Hermengard, ces noms suffisent pour nous indiquer où nous sommes. L’ère des Chapelain est close,

  1. Elisabeth de France ! pourquoi ne pas dire tout de suite : Don Carlos, comme Lebrun, qui, s’appropriant Marie Stuart, ne jugeait point qu’il fût nécessaire de changer le titre ?