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esprit, dans notre moi un monogramme représentant l’essence divine ? Si l’on accorde, comme le fait M. Vacherot, la doctrine de Maine de Biran, à savoir que la conscience atteint en nous-mêmes autre chose que le phénomène, qu’elle pénètre jusqu’à l’être même, cet être que nous sentons en nous n’est-il que notre être individuel, n’est-il pas aussi l’être lui-même ? « L’être est inné à lui-même, » dit Leibniz. N’est-ce pas dire que nous sentons l’infini dans le fini, et ne peut-on pas aller jusqu’à dire, avec M. Ravaisson, que nous sentons Dieu en nous, et, suivant sa belle expression, « qu’il nous est plus intérieur que notre intérieur ? » Si l’on admet, en outre, avec Descartes, que la volonté est infinie, absolue, dire que nous sentons en nous la volonté, n’est-ce pas dire que nous sentons l’infini ? Dire que nous avons conscience du libre arbitre, n’est-ce pas dire que nous avons conscience d’être au-dessus de la chaîne des phénomènes ? Or cela n’est vrai que de Dieu. Sentir le libre arbitre, c’est donc sentir Dieu en nous. Sans doute le libre arbitre, la volonté, sont le cachet propre de la personnalité ; c’est ce qui autorise chacun de nous à dire moi. D’un autre côté cependant, la personnalité doit-elle se confondre avec l’individualité ? Un animal est un individu ; mais il n’est pas une personne. La personnalité commence avec l’idée du bien, l’idée du droit et du devoir, l’idée de la loi. Or, ce sont là des idées impersonnelles qui sont les mêmes dans toutes les consciences. De même le libre arbitre est identique chez tous les hommes ; la volonté est également identique. C’est là l’essence commune de l’humanité : c’est par là que tous les hommes sont semblables et égaux. C’est par là que l’homme est sacré pour l’homme : homo res sacra homini. Or, n’est-ce pas l’absolu, l’infini, le divin qui seul peut rendre un être sacré ? N’est-ce pas le divin qui constitue en nous le devoir et le droit ? Et sans approfondir le mystère des deux personnes, des deux natures confondues dans le moi, n’est-il pas vrai de dire que, par le fait de la conscience, l’homme atteint en lui-même beaucoup plus près de l’être de Dieu qu’il ne le fait dans la nature extérieure ? La crainte de l’anthropomorphisme n’entraine-t-elle pas trop loin M. Vacherot, lorsqu’il refuse de voir dans la conscience une révélation sur le monde de l’infini ? Sans refuser d’admettre que Dieu est plus qu’esprit (hyper-spirituel), il sera permis cependant, humainement parlant, de dire qu’il est au moins esprit, et surtout, quelles que soient les profondeurs de son essence, qu’il devient en quelque sorte esprit en s’abaissant jusqu’à nous.

On entrevoit donc, sans qu’il soit permis à personne de donner la vraie formule, une vaste et haute idée de la divinité vers laquelle s’achemineraient, des points divers de l’horizon philosophique, les premiers penseurs de notre temps ; chacun s’arrètant, d’ailleurs, à