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l’idée cartésienne de l’être infiniment parfait. Mais en parlant ainsi, nous ne croyons rien dire de plus qu’en disant qu’il est l’Être, l’être sans rien ajouter, disait Fénelon : car nous ne pouvons concevoir l’être que comme perfection, et la perfection que comme être. Nous sommes bien étonné d’entendre un métaphysicien aussi exercé que M. Vacherot nous dire que « Dieu doit être cherché dans la catégorie de l’existence. » Mais cette catégorie est absolument vide. L’existence n’est qu’un fait. C’est, comme dit Kant, la position d’un objet, mais il faut que cet objet soit lui-même quelque chose. L’existence n’ajoute rien de plus à la chose. Un être qui existe ne contient rien de plus que le même être conçu par l’esprit : cent thalers pensés sont égaux à cent thalers réels. Si Dieu n’est que l’existence, il faut qu’il soit l’existence de quelque chose : ce quelque chose ne peut alors être que le monde. Dieu sera donc l’existence du monde. Comment peut-il en être la puissance causatrice et la cause finale ? Sans doute M. Vacherot entend par existence la catégorie de l’être, mais c’est tout autre chose. L’être a un contenu : plus grand est le contenu, plus grand est l’être ; et le plus grand contenu correspond au plus grand être : or, ce plus grand contenu est ce que nous appelons la plus haute perfection. Une intelligence qui veille à plus de perfection qu’une intelligence qui dort, parce qu’elle contient plus d’être. Plus l’activité est intense, plus il y a d’être : la perfection et l’être sont donc coextensifs ; si Dieu est l’être en soi, il est la perfection en soi : c’est une seule et même chose. Autrement, on confond l’être en soi avec l’être indéterminé, l’être en puissance, l’être qui n’est rien, mais qui peut tout devenir : ce n’est plus que la matière première d’Aristote ; c’est le moindre être, c’est le non-être, c’est ce qu’Hegel a appelé l’identité de l’être et du néant : c’est ce qui a fait dire à un penseur allemand que tout commence parO ; mais M. Vacherot n’admet pas cette doctrine, il la réfute souvent. Il admet donc par là même que l’Être en soi est le plein et non pas le vide. Nous ne voulons rien dire de plus en affirmant que Dieu est la perfection absolue.

On dit que Dieu est le monde en puissance, et M. Vacherot cite ce beau mot de Schelling : Deus mundus implicitus ; mundus Deus explicitus. Nous ne répudions pas ces formules ; elles sont, comme dit Leibniz, susceptibles d’un beau sens. Il y a, en effet, deux manières d’être en puissance. Le chêne est en puissance dans le gland ; mais le gland est aussi en puissance dans le chêne. Chacun d’eux contient l’autre, mais non pas de la même manière. Quand le chêne sort du gland, c’est le plus qui sort du moins ; quand le gland sort du chêne, c’est le moins qui sort du plus. Le gland devient chêne, mais le chêne ne devient pas gland ; il reste chêne avec la faculté de produire