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vu, ce qui fait précisément la force et la beauté du panthéisme, c’est de maintenir cette notion très haut. Mais dès lors, n’est-ce pas déchoir de ses propres principes que de faire consister la vie divine dans la vie du monde, dans ce tâtonnement pénible et laborieux, dont la loi sans doute est le progrès, mais dont les étapes sont le mal, la souffrance, la chute et la mort ? Quel Dieu est-ce que celui-là !

Le vrai panthéisme ne sera donc pas celui qui absorbe Dieu dans le monde ; sera-t-il davantage celui qui absorbe le monde en Dieu ; pour qui le monde est si peu de chose, qu’il n’est, à proprement parler, rien, pour qui toute réalité s’évanouit comme une fumée devant l’infini ? Voilà le vrai panthéisme, le panthéisme indien. Mais où sont ceux qui croient cela aujourd’hui ? Si le monde n’est rien dans le sens rigoureux du mot, que deviennent alors la science, l’art, la patrie, la famille, la liberté, l’amour, la vie en un mot ? Tout cela est mensonge, non-être, illusion : tout cela est vide ; et ce qu’il y a de plus pressé pour nous, c’est de faire le vide en sacrifiant famille, patrie, liberté, art, science, tout ce qui est profane, tout ce qui est humain, tout ce qui est mondain. C’est le mouni indien qui a raison ; c’est Siméon Stylite sur sa colonne ; c’est l’ermite du désert arrosant un bâton mort, pour montrer l’inanité du travail humain. Où est le philosophe, le métaphysicien qui pense sérieusement ces choses et qui les pratique ? Les nirvanistes modernes ne vont pas au désert ; Schopenhauer prêchait le nirvana en passant toutes ses soirées à l’Opéra ; on vante le pessimisme dans les salons à la mode et en jouissant de tous les plaisirs de la vie.

Il faut donc maintenir à la fois l’idée d’infini et l’idée de fini ; l’infini, sans quoi on se perd dans l’athéisme : ce que le panthéisme repousse ; le fini, sans quoi on tombe dans l’ascétisme et le nihilisme : ce qui contredit l’idée même de la science et de la philosophie. Mais alors, les deux termes étant admis comme coexistons sans pouvoir être absorbés l’un par l’autre, que devient la doctrine de l’immanence absolue ? Cette doctrine est écartée, aussi bien que celle de la transcendance absolue : il reste une immanence relative ou une transcendance relative, et les deux doctrines se rapprochent l’une de l’autre. Le fini, sans doute, doit être dans et par l’infini, mais non au point d’en être la vie et la réalité, ni au point de n’être rien du tout. Il doit aussi être hors de l’infini, mais non au point de lui être égal. Quant au degré et à la mesure de cette existence, nous n’avons point de balance pour la peser. Il suffit qu’elle soit assez grande pour nous permettre la liberté.

Reste la question de l’être parfait, sur laquelle nous devons encore nous expliquer, en laissant les discussions trop techniques pour la controverse de l’école. Nous maintenons, quant à nous,