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ajoutions : « Une telle hypothèse (à savoir celle de l’intelligence divine) peut bien n’être qu’une approximation de la vérité et une représentation humaine de la nature divine ; mais pour ne pas être adéquate à son objet, il ne s’ensuit pas qu’elle lui soit infidèle ; elle en est la projection dans une conscience humaine, la traduction dans la langue des hommes, et c’est tout ce qu’on peut demander à la philosophie. »

On voit par ce qui précède jusqu’où nous pouvons suivre la doctrine de l’immanence, ou, pour parler franchement, du panthéisme. Dieu n’est pas un être ; il est l’Être. Le monde et les créatures ne vivent et ne subsistent qu’en lui. Dieu n’est pas une personne ; il est la source et l’essence de la personnalité. Les attributs divins ne sont que des symboles, des noms approximatifs par lesquels nous nous représentons ce qui correspond en Dieu aux diverses perfections des choses. On ne peut accuser cette doctrine de trop d’anthropomorphisme.

Mais si nous suivons le panthéisme jusque-là, nous l’abandonnons au moment où, après avoir maintenu contre le théisme exclusif le privilège suprême de l’infinité et de l’être, il abandonne et corrompt son propre principe en faisant du fini le mode d’existence nécessaire de la divinité. Oui, l’infini est au fond l’essence, et si l’on veut même la substance du fini ; mais faut-il admettre la réciproque ? Le fini fait-il partie de l’essence de Dieu ? Est-il sa manifestation nécessaire ? Dieu vit-il dans et par le fini, comme l’âme ne vit que dans et par les phénomènes du moi ? C’est de cette réciproque qu’il s’agit entre les théistes et les panthéistes. Je veux bien admettre que ce pavé est divin ; mais suis-je forcé d’admettre que Dieu soit un pavé, et qu’il ne puisse exister sans devenir pavé ? Là est la contradiction incurable du panthéisme. Il part de la plus haute idée de la divinité ; puis il la sacrifie à son contraire. Il craint d’attribuer à Dieu la personnalité même parfaite, de peur d’en faire un être fini, et en même temps, il ne comprend pour lui d’autre vie que la vie finie indéfiniment répétée. Ainsi, placer la sainteté en Dieu, c’est de l’anthropomorphisme ; mais placer en Dieu le crime, l’erreur, le doute, l’ignorance et la folie, ce n’est pas de l’anthropomorphisme. Dire que Dieu est esprit et esprit pur, c’est de l’anthropomorphisme ; mais dire qu’il est homme, animal, plante et pierre, ce n’est pas de l’anthropomorphisme, ce n’est pas du fétichisme. Je comprends qu’on dise : Il n’y a pas de Dieu ; il n’y a que le monde ; il n’y a que la matière brute et ses lois, produisant par une série d’accidens la conscience et la volonté ; mais cela, ce n’est plus panthéisme, c’est athéisme. Pour avoir le droit de se dire panthéiste, il faut maintenir la notion de Dieu ; et, nous l’avons