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à la doctrine de M. Vacherot en la traduisant en ces termes, et lui-même nous y autorise en donnant à cette doctrine le nom de spiritualisme.

En résumé, sans vouloir exagérer le changement que nous avons cru découvrir dans le nouvel écrit de M. Vacherot, il nous semble que sa doctrine métaphysique s’est quelque peu transformée au profit du point de vue théologique ; que l’auteur a obéi à son tour à cette loi d’évolution que nous avons vue chez un grand nombre de penseurs, et qui consiste à compléter leurs conceptions spéculatives par une conception religieuse. C’est ainsi que Fichte, accusé d’athéisme en 1798, pour avoir appelé Dieu « l’ordre moral, » s’est élevé dans la Destination de l’homme et dans la Vie bienheureuse à un point de vue hautement religieux, et presque mystique : c’est ainsi que Maine de Biran, le philosophe de la volonté et du stoïcisme, a également fini par une phase mystique. Cabanis, revenant de plus loin, est au moins remonté jusqu’au stoïcisme, et dans la Lettre sur les causes premières, il a représenté l’univers comme gouverné par l’intelligence. Diderot lui-même avait fini par réfuter le livre de l’Esprit, dont le matérialisme le révoltait ; et il déclarait en dernier lieu qu’on ne peut pas faire sortir ce qui pense de ce qui ne pense pas ; et d’un autre côté, que c’est une hypothèse arbitraire et gratuite de considérer la sensibilité comme inhérente à la matière. Schelling, comme on sait, passait de la philosophie de la nature à une sorte de néo-christianisme ; Auguste Comte enfin finissait par foncier une religion, et occupait, dit-on, les dernières années de sa vie à lire l’Imitation de Jésus-Christ. N’y a-t-il pas dans ce concours de faits une indication et un enseignement ? On ne peut sans doute attribuer ombre de mysticisme à la nouvelle philosophie de M. Vacherot ; et ce n’est pas nous qui lui en forons un reproche ; mais chacun opère cette transformation finale à sa manière. C’est dans l’ordre intellectuel et scientifique que M. Vacherot s’est renfermé. Il n’en est pas moins vrai que ce livre nous parait d’un caractère assez différent de ceux qui ont précédé. Il nous porte vers le spiritualisme, tandis que les autres nous en éloignaient. C’est ce qui nous a paru, dans cette analyse, le point le plus intéressant à faire ressortir.


III

Après cette longue exposition, mêlée de critique indirecte, des idées de M. Vacherot, on ne manquera pas de nous demander ce que nous pensons nous-même sur ces problèmes ; et l’on nous dira : Eh bien ! vous qui parlez, à votre tour de vous expliquer. Nous avouons sincèrement que nous aimerions échapper à cette