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réalité, ou il faut savoir s’en passer absolument. Le Dieu idéal est une chimère : c’est l’ombre d’une ombre ; n’en parlons plus.

De cette renonciation à une théologie idéale sortaient des conséquences inévitables. Lorsque M. Vacherot croyait que son Dieu idéal pouvait suffire, il n’avait, au fond, nul besoin d’un Dieu réel ; aussi, dans son livre de la Métaphysique et la Science, évitait-il avec soin de donner le nom de Dieu, non seulement au monde, mais à l’infini et à l’universel, dont le monde est la manifestation. Convaincu, comme tous les spiritualistes, que Dieu doit être parfait, et la réalité, même infinie, étant imparfaite, il ne pouvait admettre que rien de réel fût Dieu ; il ne craignait donc pas d’être athée en réalité, sachant qu’il était, autant que personne, théiste dans l’idéal. Mais aujourd’hui, ce théisme idéal étant écarté, notre philosophe se résignera-t-il pour tout de bon à l’athéisme ? Non ; son esprit élevé, bien plus, le fond même et les tendances générales de sa philosophie lui interdisent cette solution désespérée. Dès lors, le nom de Dieu, réservé jusque-là à l’idéal, reviendra de droit au principe réel des choses. M. Vacherot appellera donc de ce nom, comme Spinoza, la substance, l’être, le fond des choses. Dieu sera pour lui un être vivant et réel, et non plus une abstraction.

Mais les mots ont leurs lois et leurs forces secrètes ; et ce n’est pas impunément que l’on emploie le mot de Dieu. Tant qu’il était retranché dans son théisme idéal, M. Vacherot pouvait réduire en toute liberté les attributs de la substance réelle, qui n’a d’autre mérite que d’exister, et qui même, semblait bien n’être pour lui que la collection des êtres particuliers. Cette substance n’était pas Dieu ; on pouvait en penser ce qu’on voulait. Mais aujourd’hui qu’on lui a restitué ce nom auguste (car c’est le titre du chapitre qui lui est consacré), il faut bien que ce nom lui convienne par quelque endroit, et qu’il ne soit pas en contradiction avec elle. Elle sera immanente dans l’univers, soit ; elle n’échappera pas aux lois de l’espace et du temps ; fort bien. Toujours est-il qu’il faut qu’elle soit quelque chose, et quelque chose d’assez grand pour mériter le nom nouveau dont on la décore. De là une tendance, dans la nouvelle théologie de M. Vacherot, à faire rentrer peu à peu dans la notion du Dieu réel, un certain nombre d’attributs appartenant au Dieu parfait. Il rejettera encore cette expression ; il traitera de sophisme l’argument de saint Anselme repris par Descartes ; mais, malgré tout, la force des choses le ramènera vers le théisme, ou tout au moins vers le panthéisme ; or le panthéisme lui-même est une sorte de théisme, ou il n’est rien. Considérons quelques-unes des modifications que l’idée de Dieu va recevoir dans cette nouvelle conception.

C’est ainsi que l’auteur renonce expressément au Dieu-progrès,