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Schelling au contraire, au moins la première, celle que l’on appelait la philosophie de la nature, est une philosophie scientifique, sortie de la science du XVIIIe siècle interprétée à l’aide de Kant et de Spinoza, et elle est profondément imprégnée de l’idée du XVIIIe siècle, l’idée du progrès. Comment nier la réalité de la nature dans une philosophie de la nature ? Comment nier la réalité de la vie dans une philosophie du moi ? Schelling n’excluait donc ni la vie, ni la nature, ni l’art, ni rien de ce qui compose l’existence finie : Hegel encore moins. Ni l’un ni l’autre n’étaient monastiques, ascétiques, extatiques, superstitieux, comme l’avaient été les alexandrins. Cousin n’avait pas distingué ces deux aspects de la doctrine panthéistique. Après avoir admis la consubstantialité du fini et de l’infini, il reste encore à savoir si le fini est pour l’infini un développement ou une chute. M. Vacherot vit le problème, et le trancha dans le sens moderne. Tout en admettant le principe alexandrin de la vie de toutes choses dans l’unité et dans l’être, il protesta contre l’ascétisme alexandrin, si peu conforme au sentiment de la vie réelle dont nous sommes tous aujourd’hui si profondément pénétrés. Le panthéisme oriental devait succomber devant le panthéisme occidental. L’idée de progrès l’emportait sur l’idée de chute. Aussi l’auteur critiquait-il sévèrement la théorie de la procession qui est le principe moteur de la nature dans la philosophie d’Alexandrie : « Dans cette hypothèse, dit-il, l’être va toujours se dégradant, s’amoindrissant à mesure qu’il se développe, commençant par le meilleur, finissant par le pire, s’éloignant graduellement de la perfection absolue qui est son point de départ pour aller se perdre dans le néant après une série infinie de défaillances. Le monde, au lieu de s’avancer vers le bien par un progrès continu, s’avance vers sa fin à travers des révolutions successives qui préparent la catastrophe universelle. » À cette fausse théorie M. Vacherot opposait la théorie moderne du progrès : « La nature va du pire au meilleur, non du meilleur au pire ; loin de descendre par une série de dégradations, elle s’élève par un progrès continu de l’être inférieur à l’être par excellence ; de la nature à l’esprit… la loi de l’être est de monter, non de descendre. » L’auteur voyait bien l’objection qui s’élève contre ce système : « Il faut bien se garder de conclure, disait-il, que le pire engendre le meilleur, que la vie et la pensée ont pour principe la pure matière : ce serait confondre la cause et la condition. » Cette réponse, empruntée au spiritualisme, est-elle bien légitime dans la doctrine de l’identité ? Si l’être universel poursuit toujours sans l’atteindre jamais « une représentation adéquate à sa nature, » en vertu de quel principe se dépasse-t-il ainsi lui-même, et quelle est cette nature qui cherche toujours sa représentation sans l’atteindre ? Si l’être universel n’est que « l’être en puissance, »