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voulait caractériser ces trois phases par des expressions précises, toujours un peu inexactes, on pourrait dire qu’il a été panthéiste dans la première période, idéaliste dans la seconde, spiritualiste dans la troisième, sans avoir jamais changé réellement de philosophie. Nous résumerons brièvement les deux premières phases, et nous insisterons surtout sur la troisième, dont son récent ouvrage, le Nouveau Spiritualisme, est le couronnement.

Tout le monde sait, ou plutôt tout le monde a oublié le bruit que fit à son apparition le troisième volume de l’École d’Alexandrie. Ce fut pour les bien pensans d’alors un scandale public. Un ecclésiastique illustre, aumônier de l’École normale où M. Vacherot était alors directeur des études, le père Gratry, crut devoir dénoncer l’œuvre de son collègue. L’ouvrage fut déféré au conseil supérieur de l’instruction publique, M. Vacherot condamné et révoqué. Ce fut un des événemens d’un temps fertile en événemens. En relisant aujourd’hui l’ouvrage de M. Vacherot, on est confondu d’un tel bruit, d’une telle sévérité, d’un tel éclat pour un livre plus historique que théorique, où les doctrines ne sont exposées qu’indirectement sous la forme la plus abstraite et la plus spéculative. C’est à peine si ces doctrines trouveraient grâce aujourd’hui devant nos positivistes : c’est de la métaphysique, c’est tout dire. On pouvait sans doute trouver que M. Vacherot avait quelque peu manqué d’à-propos, ce qui lui arrive quelquefois, en choisissant le moment où venait de triompher le parti clérical et où l’université était gravement menacée, pour rompre avec l’orthodoxie spiritualiste. Ce qui est vrai c’est qu’il avait eu le mérite de secouer l’espèce de torpeur métaphysique où l’on se laissait peu à peu entraîner par la crainte de compromettre la philosophie universitaire. Ce fut lui qui le premier, avant M. Taine, avant M. Renan, vint, selon l’expression de Kant, réveiller la philosophie de son sommeil dogmatique. La philosophie, pas plus que les constitutions, n’est « une tente dressée pour le sommeil. » Le livre de M. Vacherot, surtout accompagné de proscription fut un avertissement éclatant de la crise qui commençait alors. Les adversaires de la libre pensée, en croyant triompher dans cette circonstance, firent en réalité la faute la plus grave. Ils infligèrent au spiritualisme et au théisme la note d’une doctrine officielle : ils lui imposèrent la complicité avec les doctrines rétrogrades. Ils précipitèrent dans les doctrines adverses tout ce qui n’était pas catholique et croyant.

Si nous nous demandons maintenant quelle était la doctrine exposée et condamnée dans l’École d’Alexandrie, ce n’est autre que la doctrine de l’unité de substance. Voici les passages qui furent alors le plus incriminés : « La raison, y est-il dit, unit dans un système indissoluble la vie individuelle et la vie universelle. Elle ne