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mais surtout pour ce qui me concernait personnellement, quelle était l’attitude à prendre vis-à-vis du nouveau gouvernement. « Pour vous, jeune homme, nul doute possible, il faut vous y attacher complètement. M. le duc d’Orléans est un parfait honnête homme et de très grand sens ; quant à Mme la duchesse d’Orléans, c’est une femme admirable dont il convient à tous de baiser respectueusement les pas. » Ces paroles me sont restées gravées dans la mémoire.

Quelques mois plus tard, quand je fus nommé troisième secrétaire d’ambassade à Madrid, je retournai de nouveau voir mon ancien chef. M. Pilorge me dit qu’il n’était pas seul, mais de monter tout de même et que je trouverais M. Armand Carrel chez lui. C’est ce que je fis. La note était bien changée depuis ma dernière visite. M. de Chateaubriand me parla fort peu. Il était en train de déblatérer contre le roi Louis-Philippe et contre le nouveau régime. Son interlocuteur faisait chorus avec lui. J’en étais presque embarrassé, ayant entendu, il y avait si peu de temps, des appréciations si différentes. Je sortis le premier et je retrouvai M. Pilorge sur le seuil de la porte, où nous nous attardâmes à parler de nos anciens souvenirs de Rome. Le visiteur d’en haut sortit à son tour. Je le montrai à M, Pilorge : « C’est donc là M. Armand Carrel ? — Pas du tout ; je m’étais trompé, c’est M. L… »

J’ai toujours entendu parler depuis de M. L… comme d’un conservateur très décidé et fort lié avec M. Guizot. Comment donc avait-il pu tenir un langage qui aurait été si bien placé alors dans la bouche du républicain M. Armand Carrel ? Je ne m’explique pas encore très bien la chose à l’heure qu’il est Était-ce pure complaisance à l’égard de M. de Chateaubriand, ou bien ces façons de voir à l’égard du gouvernement de 1830 furent-elles, pour un moment, celles de M. L… ? Je ne sais, mais sur ce point insignifiant, comme tout ce que je viens d’écrire à propos de M. de Chateaubriand, je suis parfaitement certain que mes souvenirs ne m’ont pas trompé.


Cte D’HAUSSONVILLE.