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étions plus que les autres étrangers recherchés et à la mode dans les salons de l’aristocratie, et plus populaires que les Anglais parmi les classes inférieures. J’en ai eu mille preuves pendant ce premier voyage. Pendant ceux qui ont suivi, il m’a fallu tristement reconnaître que notre prestige avait graduellement reçu plus d’une atteinte dans les milieux aristocratiques. Quoi qu’il en soit, il était dans tout son plein quand nous arrivâmes à Florence. M. de Vitrolles, ministre de France auprès du grand-duc de Toscane, fit d’autant plus de frais pour se rendre agréable à mon père qu’en politique ils étaient loin d’être du même bord. C’était un homme d’infiniment d’esprit, plein de vivacité et d’heureuses reparties. Quant à Mme de Vitrolles, elle semblait n’avoir d’autre occupation que de nous procurer des invitations à des dîners et à des bals. Elle s’était fait un devoir de me présenter à toutes les jolies personnes de Florence, indigènes ou étrangères. Elle faisait mes honneurs et chantait mes louanges partout. Ce n’est point sa faute, mais bien la mienne, si je n’ai pas eu dans le monde florentin les plus grands succès de société. Je me souviens d’y avoir rencontré, comme attachés à la légation française, M. de Murinais, un Dauphinois, parent éloigné du côté de ma mère ; M. de Langsdorff, qui a depuis épousé Mlle de Sainte-Aulaire et avec lequel je me suis plus tard lié intimement ; j’y ai aussi fait, pour la première fois, connaissance avec M. de Saint-Aignan, qui sortait alors de l’École polytechnique. J’y ai été présenté par mon père à ses vieilles connaissances de la cour impériale, le prince et la princesse Aldobrandini, depuis Borghèse, et à leur fille qui, deux ans plus tard, a épousé mon ami, le comte Henri de Mortemart. Lord Normanby représentait l’Angleterre à Florence. J’ai assisté à des comédies de société qu’il donnait chez lui et dans lesquelles je l’ai vu jouer, non sans succès, mais non pas sans quelque prétention, des rôles où il s’appliquait à imiter les plus célèbres acteurs anglais de cette époque. Toute la troupe, autant que je m’en souviens, était passablement affectée, et se prenait elle-même trop au sérieux. J’ai souvenance d’un jeune lord anglais, dont j’ai oublié le nom, qui ne quittait point d’un pas Mme Guiccioli ; grâce à un col de chemise rabattu, à son port de tête, à ses airs de héros de roman dégoûté de la vie, il visait évidemment à reproduire lord Byron. Je crois, Dieu me pardonne, qu’il faisait semblant de boiter un peu. A quel point Mme Guiccioli lui donnait-elle la réplique ? Je n’ai pas eu le temps ni la curiosité de m’en assurer. Elle semblait se prêter assez volontiers au rôle, ou tout au moins s’en amuser. Mais il est temps que j’arrive à Rome et que je parle de mon chef, M. de Chateaubriand.