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génie, l’ampleur de ces périodes, la majesté de cette déclamation. Rien de pareil dans Wagner, dans son récitatif inégal et boiteux, dans ses motifs à peine indiqués, jamais achevés.

Quel bruit encore à propos de ces motifs ! Comme si Wagner avait inventé la personnification musicale de ses héros ! La persistance d’une idée, son développement, son retour ingénieux ou saisissant, les mille nuances par lesquelles elle peut passer, tout cela était connu. Ici comme toujours, Wagner a exagéré, insisté pesamment. À la fin de chacun de ses opéras se dresse le catalogue raisonné des Leitmotive avec leur justification philosophique. Et quels motifs! Non pas des phrases suivies, clairement saisissables, mais le plus souvent des tronçons, des lambeaux de mélodies qui passent inaperçus, imperceptibles. Il y a, paraît-il, quatorze de ces motifs dans les Maîtres-Chanteurs. Tout finit par être motif : le plus pauvre embryon musical, trois ou quatre notes assemblées au hasard. Le motif de la Saint- Jean n’en a que cinq ; il est tout petit, mais, pour qui sait l’entendre, il vaut le fameux quoi qu’on die. — Ce n’est pas tout ; il y a plusieurs catégories de motifs. Ainsi le motif d’amour de Walther doit se diviser en trois sous-motifs gradués : 1° motif de l’amour naissant ; 2° motif de l’ardeur impatiente ; 3° motif de la passion déclarée. De même, le motif de Sachs poète et musicien, n’est pas le motif de Sachs cordonnier : motif artistique et motif professionnel. Enfin, tout est perdu si l’on ne sépare soigneusement les motifs des développemens. « Les motifs expriment l’essence, la nature spéciale des êtres et des choses ; ils sont d’ordre contemplatif, statique. Les développemens expriment les modifications, les altérations, les transformations morales ou physiques ; ils sont d’ordre actif, dynamique. » Voilà qui dépasse tout! Nous ne pouvons plus suivre. « Lorsque les élèves ne comprennent plus le professeur, a dit Voltaire, et que le professeur ne se comprend plus lui-même, alors c’est de la métaphysique, » — ou de la musique, si la musique est ce que vous dites.

C’est de celle-là pourtant que M. Schuré écrivait naguère : « Cette musique agit sur l’âme sans que la réflexion s’en mêle, pourvu que l’on s’abandonne à l’impression. » Pourquoi faut-il que notre impression soit différente? Nous ne demanderions pas mieux que d’être charmés, émus, transportés comme vous par vos rêves dans les forêts de hêtres séculaires « où le soleil printanier jette ses traînées lumineuses, et qu’agite seulement un léger murmure de la brise. » Tout cela, c’est de la poésie allemande. Nous aussi, nous l’avons sentie, cette poésie. Nous avons entendu l’harmonie de vos grands arbres, respiré le parfum de vos tilleuls et des violettes de vos prairies. Mais ce n’est pas sous le poids des Maîtres-Chanteurs, c’est sur les ailes du Freischütz, ce