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veront le modèle le moins tyrannique pour leur originalité propre, la formule la plus vaste, la plus souple qui puisse convenir à leurs aspirations personnelles et se prêter aux expériences les plus diverses. J’en suis persuadé, continue M. Camille Benoît[1], en France surtout, l’heure est venue de regarder Wagner en face, d’envisager avec une résolution virile les problèmes qu’il a posés… et résolus. »


Oh ! oh ! oh ! celui-là ne s’attend point du tout !


Les problèmes que Wagner a posés et résolus ! Mais l’on ne parlerait pas autrement de Newton et de l’attraction universelle ! Voilà donc le ton auquel il faut se hausser pour célébrer ce réformateur, ce Messie ! Soit ; envisageons Wagner en face. Vous avez raison : il faut pour cela une résolution virile. Aussi bien, il y a longtemps que cet engouement nous fatigue et que cette idolâtrie nous irrite.

Wagner et ses adeptes ne discutent guère avec leurs contradicteurs ; ils les méprisent. Nulle école n’est plus intolérante, plus dédaigneuse de qui l’attaque ou ne la défend qu’à demi. Wagner est un maître au sens le plus rigoureux du mot. Ses disciples, qui sont ses esclaves, menacent de devenir nos tyrans. Vivant, il en imposait ; mort, on nous l’impose ; mais qu’il soit permis au moins de protester contre ce despotisme posthume[2].

Il ne s’agit pas seulement d’une œuvre, mais d’une idée. Avec Wagner, il faut élargir la discussion. Cet homme est tout d’une pièce, comme ses ouvrages. En lui tout se tient et l’on peut, à propos des Maîtres-Chanteurs, s’expliquer sur l’ensemble du système. Cette partition, au goût de ses dévots, est une des meilleures du maître. Personne ne la récuse comme œuvre de jeunesse ou de décadence. Elle est le fruit du génie wagnérien dans plus sa glorieuse maturité.

Du génie ! Eh oui, Wagner en a eu. Nous le disons bien vite et bien haut, pour n’être accusé ni d’aveuglement ni de parti-pris. Comme le cavalier du chemin de Damas, il a parfois été terrassé par des clartés victorieuses ; il a entendu le cri de la beauté éternelle : Pourqjoi me persécutes-tu ? Parfois, en dépit des combinaisons, des complications, l’idée générale a jailli, spontanée, irrésistible. Elle a tout brisé, le système, la théorie ; et le dieu, longtemps outragé, s’est fait glorieuse justice. Wagner a su être l’égal des plus grands, même par l’inspira-

  1. Les Motifs typiques des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, étude pour servir de guide à travers la partition.
  2. L’Allemagne elle-même a protesté parfois. Nous signalons aux wagnériens intransigeans l’article d’un maître de la critique allemande : M. Hanslick. Ils y trouveront bien des réserves, et plus que des réserves parfois. Ils y verront notamment que l’œuvre appartient à la classe des « intéressantes monstruosités musicales. »