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croyans nous ramèneraient au moyen âge, celles de certains démocrates nous feraient reculer jusqu’à l’antiquité, jusqu’à cette espèce de communisme moral où l’enfant, regardé comme chose publique, était la propriété de la cité. Quelle déconvenue pour les libéraux, qui avaient proclamé le principe de l’incompétence de l’état et qui en attendaient la pacification religieuse ! L’idée de liberté, obscurcie par les passions d’un fanatisme à rebours et les instincts autoritaires de la démocratie, semblait rayée du programme du libéralisme, qui, de déviation en déviation, finissait par aboutir à l’opposé de son point de départ, à la négation de son propre principe.


V.

Du domaine religieux au domaine économique, il y a, semble-t-il, tout l’intervalle du ciel à la terre, et cependant, entre ces-deux ordres de questions si dissemblables, se manifeste, au point de vue politique, un singulier parallélisme. Les solutions préconisées pour les unes, le libéralisme a prétendu les appliquer également aux autres. Là aussi, à l’inverse des anciens erremens, il avait cru tout résoudre en proclamant l’incompétence de l’état, en s’en remettant pour les besoins matériels des peuples, comme pour leurs besoins moraux, à l’initiative privée. Là aussi il s’était vanté de suffire à tout avec un principe, et toujours le même principe, résumé dans les deux mots de liberté et d’égalité. Tel était le vœu des économistes, qui ne faisaient, en réalité, qu’appliquer à la sphère des intérêts les maximes et les solutions du libéralisme. Tel était le sens de la fameuse devise : « Laissez faire, laissez passer, » à l’aide de laquelle les initiateurs de la science s’étaient promis de féconder toutes les régions de cet immense domaine économique, tant agrandi de nos jours par l’industrie et le commerce. Liberté du travail, liberté de la propriété, liberté des échanges entre les peuples aussi bien qu’entre les individus, suppression des privilèges et des monopoles, renversement des barrières de classes, égalité devant la loi, égalité devant l’impôt : c’est avec ces formules, toujours inspirées d’une seule et même idée, que le libéralisme économique s’était fait fort de trancher toutes les questions sociales.

Ici encore on sait que de déceptions devaient éprouver les apôtres des doctrines libérales ; mais, ici encore, beaucoup des mécomptes qu’on leur reproche viennent moins de l’application de leurs principes que des hésitations et des contradictions avec lesquelles ces principes ont été mis en pratique. La grande erreur là comme dans les questions religieuses, ou les questions nationales, c’est de n’avoir