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mœurs de quoi résister au joug niveleur des maîtres changeans que se donne la faveur populaire. J’oserai donc dire que, sous le gouvernement représentatif, tout comme dans les monarchies d’ancien régime, avec la démocratie non moins que dans les sociétés hiérarchiques, la première condition de la liberté, ou mieux l’unique garantie quelque peu efficace des institutions libres, c’est encore la décentralisation et le renforcement de la vie locale. Or, cette vie locale, là même où elle a le plus de racines dans les traditions, la démocratie et son complaisant auxiliaire, le pseudo-libéralisme bureaucratique, semblent travailler d’instinct à l’affaiblir, à l’énerver, à l’étouffer, comme si leur idéal, aussi bien que celui de nos anciens rois, était de tout abattre et de tout uniformiser pour être mieux à même de tout régenter.

Il est vrai que, dans la démocratie contemporaine, on peut à cet égard distinguer deux courans en sens contraire, deux forces opposées qui en s’équilibrant semblent devoir assurer la liberté. En face ou au-dessous de la force centralisatrice et unitaire, de la force centripète, si l’on peut ainsi parler, qui pousse à l’exagération des droits de l’état et du pouvoir central, se manifeste chez la démocratie, dans ses couches inférieures notamment, une force centrifuge, parfois non moins énergique, qui réagit contre le pouvoir central et pousse à l’affaiblissement de l’autorité publique, non pas d’ordinaire au profit de l’individu et des droits individuels, — la démocratie agit par masses et ne se soucie que des masses, — mais au profit de groupes sociaux, naturels ou conventionnels, au profit des villes, des communes, des cantons, des corps de métiers, des associations ouvrières qui tendent à s’ériger en autant de petits états et d’états souverains, réclamant vis-à-vis de leurs membres, c’est-à-dire vis-à-vis de l’individu, les mêmes droits que l’état, et souvent même les droits qu’ils dénient à l’état. C’est là un phénomène qui se produit presque partout où prévaut l’extrême démocratie. Les grandes communes et les agglomérations ouvrières, dans leurs appels à l’autonomie, cherchent inconsciemment à renouveler la cité antique, comme si une ville indépendante, avec une ceinture de banlieue ou de faubourgs, était le cadre naturel d’une démocratie souveraine ! Et cela se comprend ; une fois arrivée à son dernier terme, la démocratie trouve le régime représentatif insuffisant et tend à s’en affranchir. Non contente d’avoir dans ses représentans des commis dociles, elle est portée à revenir peu à peu au gouvernement direct du peuple par le peuple, et les petites agglomérations à territoire restreint se prêtent bien plus facilement à un pareil régime que nos grands états unitaires. C’est ainsi qu’en plusieurs des états les plus anciennement et les plus fortement constitués, on voit la démocratie ultraradicale incliner au sectionnement