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Le peuple, investi théoriquement de la souveraineté, a, en effet, tout comme le monarque de droit divin, ses courtisans, ses favoris, ses parasites de toute sorte. Ces flatteurs du nouveau souverain sont d’autant plus outrés dans leurs adulations et impudens dans leurs mensonges, que plus naïf et plus grossièrement crédule, plus ignorant et plus facile à duper est le maître du jour. Ils se montrent d’autant plus exigeans, d’autant plus cupides et rapaces qu’ils se trouvent plus nombreux et plus besogneux, que plus impérieux et voraces sont leurs appétits, que plus prodigue et insouciante est la main dont ils mendient les grâces. Parmi tous les rois fainéans et les princes de triste mémoire dont l’histoire est remplie, il serait difficile d’en trouver de moins clairvoyans et, en même temps, de plus infatués, de plus capricieux et de plus entêtés tour à tour que ces souverains à millions de têtes auxquels la civilisation démocratique tend de plus en plus à remettre le pouvoir. Incapables de gouverner par eux-mêmes, ils ressemblent à ces princes de quinze ans officiellement proclamés majeurs. Incompétens pour toutes les affaires, sachant rarement distinguer leurs vrais serviteurs, ils sont exposés à devenir la proie des charlatans beaux parleurs. C’est ainsi que, chez les peuples en apparence les plus éclairés, le suffrage, universel ou censitaire, aboutit parfois au scandale de choix navrans ou ridicules, c’est ainsi qu’une capitale comme Paris met au monde un conseil municipal comme le sien, où l’on ne rencontre peut-être pas un des noms qui font honneur à la France. Après de pareils exemples, il y aurait de l’ironie à dire qu’élection est synonyme de sélection.

Certes, le régime représentatif, même avec le suffrage universel, est loin d’être partout aussi dévoyé. De pareilles défaillances se rencontrent surtout dans les grandes villes où s’amasse, comme dans un abcès, ce qu’il y a de moins sain dans le sang du pays. Contre de semblables aberrations on se flatte de se prémunir avec l’instruction. Une partie des erreurs ou des maux qu’on est tenté d’attribuer à la démocratie provient sans conteste de ce que les droits politiques ont été plus vite étendus que la capacité de les exercer. Par suite, l’instruction nationale est le premier besoin des peuples modernes, de ceux surtout qui vivent sous le régime du suffrage universel ; mais, sur ce point encore, à combien de mécomptes le libéralisme ne s’est-il pas déjà heurté ! Mainte fois déçu par les classes supérieures ou moyennes, comment peut-il se flatter de réussir en une ou deux générations avec les masses ? L’éducation des princes a de tout temps fait le désespoir des politiques et des philosophes. Or, quel souverain plus difficile à instruire que le peuple, plus malaisé à dresser à l’art de régner ? Il n’a pour cela ni aptitude, ni temps, ni