Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains des plus instruits et des plus probes, des plus intelligens et des plus dignes par l’esprit et le caractère ? De ce côté encore, le libéralisme a éprouvé de fréquentes déconvenues ; et ses mécomptes n’ont fait que grandir à mesure qu’est passée de la théorie dans la pratique l’une de ses maximes favorites, l’égal accès de tous à toutes les fonctions. Plus s’est élargi le cercle où se recrutaient les hommes politiques et les fonctionnaires de toute sorte, plus leur niveau intellectuel semble avoir baissé. Cette détérioration du personnel gouvernemental a été plus fréquente et plus frappante encore au point de vue moral. Au lieu d’aller toujours en se purifiant, la politique a de nouveau tendu à se corrompre, à s’avilir, à souiller les mains qui y prennent part et les hommes qui en vivent. Les luttes en sont devenues trop âpres et trop grossières pour ne point répugner par leurs violences ou leurs artifices aux natures les plus élevées ou les plus droites. Loin de s’y sentir de plus en plus attirée, l’élite de la nation, chez plus d’un peuple déjà, tend manifestement à s’en écarter. La politique devient peu à peu un métier sur lequel se rejettent les hommes qui n’ont pas de quoi réussir dans les autres, ou les aventuriers qui veulent faire une fortune rapide. C’est une industrie où, pour prospérer, il faut moins d’intelligence ou de connaissances que d’intrigue et d’audace. Aussi de toutes les carrières est-ce déjà, en certains états, l’une des plus décriées. Pour la plupart de ceux qui s’y livrent, la politique n’est que l’art de faire ses affaires aux dépens du public. Un écrivain non moins clairvoyant que spirituel remarquait récemment que les partis étaient des sociétés d’exploitation auxquelles la nation était obligée d’abandonner la gestion de l’état[1]. Cela est vrai, et plus loin s’étend la sphère de la vie politique, plus bas se recrute le personnel des partis, et plus leur exploitation se montre éhontée.

Avec l’extension du suffrage et l’envahissement de la scène politique par la démocratie, l’Europe est menacée de voir se renouveler la plupart des abus que le libéralisme se flattait d’avoir supprimés à jamais. On risque de voir renaître, sous le manteau de la démocratie et le couvert de la liberté, les pires défauts de l’ancien régime, la favoritisme, le népotisme, la vénalité, l’agiotage, la mendicité officielle, le pillage de la fortune publique, le trafic des places et des faveurs, en un mot, tout l’écœurant cortège des monarchies absolues. La grande différence, c’est qu’au lieu de nourrir les aristocraties d’antichambre et les gens de cour, les abus repaissent des appétits plébéiens et engraissent les courtisans du peuple.

  1. M. de Molinari, l’Évolution politique et la Révolution, 1884.